L’animatrice de l’émission Forum qui passe tous les jours sur les ondes de Mosaïque FM a consacré le numéro d’hier, mardi 25 février 2020 aux titulaires de doctorat qui sont au chômage. C’est un sujet d’une grande importance et un vrai problème de société noyé dans des non-dits qui en faussent la compréhension et… la solution.
Par Mohamed Sadok Lejri *
Par-delà le dysfonctionnement structurel qui existe entre le diplôme de doctorat et le marché du travail, par-delà le fait que le mot «doctorat» est une absurdité en soi dans un pays comme le nôtre, car nous vivons dans une société faite d’activités rudimentaires, pauvres en connaissance et sans investissement dans le savoir, il ne faut pas hésiter à nommer les choses par leur nom.
Que vaut intellectuellement un docteur tunisien aujourd’hui ?
En effet (attention, je vais employer des mots durs), la plupart des docteurs n’ont de docteur que le titre. L’ensemble de la société maintient une illusion qu’il faut absolument dénoncer : que vaut intellectuellement un docteur tunisien aujourd’hui ? La société continue à nourrir les doctorants et les docteurs d’illusions et de fausses promesses. L’Etat dépense des fortunes, depuis des décennies, pour délivrer des diplômes universitaires à des quasi-analphabètes. Ce dernier qualificatif ne s’applique pas à tous les diplômés de l’université, bien-sûr, mais il s’applique, tout de même, à la plupart sinon à la majorité d’entre eux.
En réalité, le tri doit se faire très tôt, soit dès le lycée, au baccalauréat et aux premières années de l’université. Car, une fois le diplôme universitaire en poche, les diplômés se mettent à croire à leur avenir dans des fonctions supérieures, lesquelles sont limitées, notamment celle d’enseignant universitaire pour les docteurs qui cherchent à se caser dans la fonction publique, par souci de stabilité ou par paresse.
Les places sont chères et s’obtiennent par une sélection de fait
On persiste à tromper les jeunes en les laissant croire qu’en ayant un diplôme aussi prestigieux que le doctorat de troisième cycle, ils vont pouvoir accéder à un métier rémunérateur et flatteur, comme c’était le cas le siècle dernier. Les parents rêvent de voir leurs enfants exercer un métier prestigieux, mais les places sont chères et s’obtiennent par une sélection de fait; cette sélection ne s’opère plus lors des études primaires et secondaires (sixième et bac) et à l’université, mais se fait désormais beaucoup plus tard dans le monde professionnel.
Les diplômés universitaires passent alors des concours qui ne sélectionnent que les plus qualifiés et/ou les plus pistonnés. Les diplômés en question, a fortiori les docteurs, se rendent compte qu’ils auront ainsi perdu cinq, huit, dix années de leur vie, voire plus, et, par conséquent, auront le sentiment d’avoir été dupés, trahis. Le malaise intérieur devient de plus en plus profond, on devient aigri, le désenchantement est grand et peut même mener à des problèmes psychologiques.
Depuis vingt ans, l’Université tunisienne reçoit chaque année des jeunes incultes et quasi-illettrés et les envoie une année après l’autre tels quels, purs, vierges de toute culture et de tout savoir, aux cycles suivants. Depuis plusieurs années, les enseignants se retrouvent dans le supérieur face à de véritables ignares, incapables de rédiger correctement un commentaire Facebook et avec des diplômes n’attestant que des mensonges qui se cachent derrière des titres pompeux comme licence, maîtrise, master, doctorat… D’ailleurs, la plupart des mémoires et des thèses qui paraissent chaque année sont des plagiats, des «copier-coller» comme on dit.
De pseudos docteurs grossissent le rang des revendicateurs désabusés
Au lieu d’encourager les jeunes diplômés à s’atteler à une thèse de doctorat pour prolonger indéfiniment la durée de leur scolarisation et retarder de la sorte leur accès au marché du travail, l’Etat tunisien ne doit donner son aval à une thèse que si les débouchés sont sûrs. Ainsi les étudiants qui ont du souffle n’iront pas, quelques années plus tard, grossir le rang des revendicateurs désabusés et aigris. Et l’Etat, en mettant d’emblée les choses au clair, ne devient pas une machine à produire de futurs dépressifs.
P.-S. : J’ai employé des mots durs envers les étudiants et les docteurs, non pas par animosité contre eux, mais contre un système et une politique qui durent depuis plusieurs décennies. Je comprends parfaitement la situation des docteurs qui sont au chômage et qui crient leur détresse dans les médias. Je les prie de croire à toute ma compassion.
* Universitaire.
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