Selon le député Sahbi Ben Fredj, dans un article publié sur sa page facebook, les statistiques de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) ont révélé une augmentation inhabituelle de la mortalité mensuelle parmi ses affiliés, celle du mois d’avril 2020 ayant atteint les 627.
Par Dr Mounir Hanablia *
Le programme informatique de décès mensuels de la CNSS n’est pas prévu pour contenir plus de 100 noms, et habituellement, la mortalité mensuelle moyenne parmi ses affiliés ne dépasse pas les 50.
L’ex-député (on continuera toujours à lui accorder la dignité de ses anciennes fonctions, il le mérite bien) a donc appelé la Caisse nationale de retraite et prévoyance sociale (CNRPS) à fournir les chiffres de mortalité mensuelle pour les mois de mars et avril afin de confirmer ces nouvelles données, concernant une augmentation importante et inhabituelle de la mortalité, durant cette période de pandémie, et dont les statistiques régulièrement communiqués par le ministère de la Santé ne font pas état comme se rapportant à une recrudescence de l’atteinte par le Covid-19.
Comment expliquer cette augmentation inhabituelle de la mortalité ?
On ignore pour le moment si cette surmortalité intéresse les populations vulnérables et exposées, telles les personnes âgées, les diabétiques et les hypertendus. Le député, qui est aussi médecin cardiologue, émet trois hypothèses pour expliquer cette augmentation inhabituelle de la mortalité.
1- Le facteur culturel et social : les chiffres communiqués par le ministère de la Santé ne seraient pas valables, du fait d’une omerta à grande échelle pratiquée par la population, pour des raisons que l’on devine aisément.
2- Le facteur sanitaire public : les malades non atteints de Covid-19 auraient de grandes difficultés pour se faire traiter autant à l’hôpital que dans les cliniques ou les cabinets privés, particulièrement les cas urgents.
3- Le facteur administratif : un retard de communication des chiffres à la CNSS, peut-être en rapport pour une raison ou une autre avec une certaine latence administrative issue des mesures prises pour lutter contre la propagation du virus, et rendant nécessaire la corroboration de l’observation relevée par d’autres chiffres communiqués par la CNRPS.
Comme on peut d’emblée exclure une sous-estimation délibérée dans les chiffres officiels de la mortalité issue du Covid-19, du fait de la participation active dans leur communication de l’Observatoire des maladies nouvelles et émergentes (OMNE), on peut tout autant supputer l’existence d’autres facteurs, que le Dr Ben Fredj n’a pas mentionnés, comme par exemple une pénurie de médicaments.
En effet, dans le traitement de l’hypertension artérielle par exemple, c’est la prise de médicaments et l’abaissement des chiffres tensionnels en résultant, qui détermine la diminution de la mortalité de plus de 30% sur quelques semaines, et ce n’est nullement la consultation médicale qui en constitue le facteur déterminant, et contrairement aux hôpitaux publics, les dispensaires continuent de travailler et les patients y sont régulièrement suivis, ne serait-ce que verbalement, mais c’est le stock de médicaments disponibles qui commence plutôt à s’y faire rare, et l’observance des malades peut en avoir souffert.
D’autre part, il s’est avéré que des faux négatifs dans la recherche du virus, issus de manipulations erronées dans les prélèvements intra-nasaux, et dans les analyses des prélèvements sanguins pour recherches sérologiques, pouvaient survenir, ainsi qu’en a fait état tout récemment le Dr Nissaf Ben Alaya dans le laboratoire d’El-Hrairia.
On ignore donc actuellement dans quelles mesures les résultats officiels communiqués eussent pu en être faussés. On pourrait y ajouter le refus des autorités de recourir largua-manu aux tests de dépistage sur le tout venant de la population, et les critères de sélection retenus pour le faire, et qui ne correspondent pas aux différentes formes cliniques de l’infection au Covid-19 rencontrés dans la pratique courante.
L’hypothèse la plus inquiétante : le manque de collaboration des familles
Enfin, il reste l’hypothèse la plus inquiétante communiquée par le Dr Ben Fredj, celle du manque de collaboration des familles en vue d’informer les autorités des décès suspects, pour des raisons ayant autant trait à la peur de subir des représailles ou d’être en butte à des actes infamants et des mesures d’exclusion sociale, comme le refus de l’enterrement, que celle de subir les mesures de confinement imposées par les autorités.
Quoiqu’il en soit, eu égard à ces nouvelles hypothèses, il apparaît plus que jamais que l’opportunité accordée à un médecin radiologue, pour communiquer sur une chaîne télévisée, une information tendant à faire croire, la veille d’un mois de ramadan, que le pic de la pandémie avait été dépassé depuis le mois de décembre, était à tout le moins irresponsable.
L’effet en a été immédiat sur la population, qui n’attendait que cela pour descendre agglutinée en masse dans la rue en ne pensant qu’à se ravitailler dans la perspective du mois saint, et qui risque de ne plus être aussi sain que les années précédentes.
Ceci démontre combien une campagne de prévention nécessite autant la collaboration de la population avec les mesures prises par les autorités, que celle des médias en principe censés aider à l’obtenir, mais qui parfois, s’avèrent tributaires d’intérêts inavouables.
Mises à part les graves répercussions épidémiologiques consécutives à la communication de chiffres faux, c’est encore une fois la crédibilité de l’Etat tunisien qui va, aux yeux du monde, en prendre un coup. C’est triste parce que, en dépit de certains reproches qu’on puisse légitimement lui faire, sa gestion de la pandémie avait été jusque-là remarquable.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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