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Conflit présidence-assemble : une histoire de têtes, et de rabbin

Mechichi, qui s’accroche à son poste, semble désormais s’accommoder des ministres existants.

Les têtes rondes de Ghannouchi et Makhlouf se préparent à descendre dans la rue, en réalité plus pour boire le calice de l’amertume jusqu’à la lie, que pour apporter leur soutien à un Mechichi peu désireux de démissionner et qui semble désormais s’accommoder très bien des ministres existants.

Par Dr Mounir Hanablia *

Afin de replacer les choses dans leur juste contexte, Hichem Mechichi n’est qu’un figurant, dans un conflit dont il n’est que l’instrument. Le fait majeur qui vient se greffer sur la crise béante entre la présidence de la république et celle de l’assemblée, pour lui en donner une autre dimension, c’est évidemment le retour des «Barbudos» El-Kamour, les hommes de la vanne, ainsi qu’on les appelle, sur le devant de la scène.

Ce retour était certes annoncé, le compte à rebours concédé au gouvernement ayant atteint son terme. Pour le moment, ils sont contenus par l’armée, et la question est donc bien de savoir jusqu’à quand. Or l’affaire El-Kamour symbolise, aux yeux des intérêts étrangers, la capacité ou la volonté de l’Etat tunisien de respecter ses obligations.

Des têtes brûlées de tous poils

Cependant, il y a quelques heures, Rached Ghannouchi campait sur ses positions sur une chaîne de télévision, celles d’une présidence ayant outrepassé ses prérogatives constitutionnelles. La réunion de Carthage, cette semaine, qui avait réuni celle-ci à certains partis politiques, n’avait en effet rien apporté de nouveau. D’aucuns continuaient comme ils en ont pris depuis longtemps l’habitude, de battre leurs tambours de guerre, ceux d’un prochain processus de destitution entamé au niveau du parlement contre le président.

Il est vrai que le procès en cours contre Donald Trump a de quoi donner des idées aux têtes brûlées de tous poils, et notre parlement n’en manque certes pas. Mais l’ami de Stormy Daniels n’occupe plus ses fonctions, contrairement à l’habitant de Carthage. Et il n’est pas sûr que les députés siégeant à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) votent la destitution, pas plus qu’il ne soit sûr qu’ils ne le fassent pas. Et en effet, l’élément inquiétant, c’est le quorum atteint pour le fameux remaniement ministériel, prétexte à toutes les querelles, et qui avoisinait les deux tiers, en dépit du veto présidentiel.

Des accusations surréalistes

On ignore quels sont les arguments qui ont été brandis pour les convaincre avec un tel succès de voter la confiance à des personnalités dont nul n’avait jamais entendu parler, auparavant, dans le but de sauver le pays de la perdition, mais le fait est là. Par exemple, les thèses qui circulent sur les pages Facebook des dirigeants de la coalition Al-Karama concernent le retour de la dictature sous l’autorité de Kais Saied.

Venant de la part de ces gens là, dont on connaît bien les idées et les pratiques, qui votent pour un gouvernement d’où quatre femmes ont été éliminées du simple fait des «combinazione» politiques entre les partis de la majorité et un chef de gouvernement qui s’accroche comme un noyé à sa bouée de sauvetage, ces accusations ont quelque chose de surréaliste. Et la peur la plus palpable, la plus immédiate, la plus matérielle, au moins pour tout député(e) «indépendant(e)» siégeant actuellement au parlement, c’est évidemment de se retrouver face-à-face avec un homme comme Seifeddine Makhlouf, accusé à tort ou à raison d’avoir carte blanche pour faire régner une atmosphère de terreur au sein même de l’auguste assemblée.

Les calculs corporatistes

D’autres considérations entrent en ligne de compte. La plus grande peur de la majorité de l’assemblée, qui ne sont ni Yadh Elloumi ni Olfa Tarres, et encore moins Rached Ghannouchi, dans le cas où elle serait dissoute, est sans aucun doute de perdre les multiples avantages liés à leurs fonctions. La réalité, c’est celle d’une assemblée d’où les calculs corporatistes sont loin d’être absents. Et les pères de la Constitution le savaient fort bien, en en rédigeant les textes et en gratifiant les élus du peuple de salaires conséquents.

Il est donc nécessaire de réformer cela et d’abandonner le système du député professionnel, plus attaché à la défense de sa fonction que de sa circonscription. En d’autres temps les députés occupaient leurs fonctions professionnelles normales et leurs activités parlementaires se limitaient à certaines plénières, aux travaux des commissions, ou bien, à la fin de l’année, à la discussion du budget de l’Etat. Et ils bénéficiaient pour ce faire de rémunérations symboliques, ainsi que d’une retraite.

Les excités du parlement

Il serait bon pour les excités du parlement – ceux qu’on appelait les têtes rondes du temps de Cromwell – de s’en souvenir quand le sort d’un président de la république, une tête carrée selon ses adversaires mais qui serait loin d’être le seul à l’avoir ainsi, risque de se trouver ainsi mis en jeu, sans accusation, d’homicide, malversation, ou trahison, le justifiant. Un président dont d’aucuns considèrent qu’il bénéficie de l’immunité durant l’exercice de ses fonctions, et que la Constitution a doté du pouvoir (comment le qualifier autrement) de ratifier les nominations ministérielles; si cela n’était que pur formalisme, pourquoi en disposerait il, et à la limite, pourquoi la fonction présidentielle existerait-elle? Mais on n’en est pas encore là, et le Tribunal administratif a rendu son verdict et renvoyé vers la nécessité de mettre sur pied justement cette fameuse Cour constitutionnelle dont l’absence se fait tant sentir; tout comme l’ont fait d’ailleurs les constitutionnalistes appelés à la rescousse, et qui ont cette fois botté en touche en insistant sur la nature politique du conflit.

Exit donc les nécessités impossibles ! Mais en admettant que la fameuse Cour voie enfin le jour, il faudrait encore qu’elle se prononce sur un conflit qui lui soit antérieur, autrement dit elle devrait émettre un jugement à effet rétroactif, ouvrant ainsi la voie à d’autres contestations loin d’être illégitimes. Encore un casse-tête juridique en perspective !

Boire le calice jusqu’à la lie

En attendant, et pour sauver la face, les têtes rondes de Ghannouchi et Makhlouf se préparent à descendre dans la rue, en réalité plus pour boire le calice de l’amertume jusqu’à la lie, que pour apporter leur soutien à un Mechichi peu désireux de démissionner et qui semble désormais s’accommoder très bien des ministres existants.

C’est un peu l’histoire du juif qui était allé se plaindre au rabbin de l’odeur pestilentielle de son bouc attaché à l’intérieur de la maison. «Attache-le dehors», dit le rabbin. L’homme s’exécute, mais l’animal ne l’entend pas ainsi et passe toute les nuits à tenter de se libérer pour retrouver son gîte, occasionnant un bruit suffisant pour empêcher son propriétaire de trouver du repos. Celui-ci retourne donc se plaindre auprès de son rabbin, qui lui conseille alors de réintégrer l’animal à l’intérieur de la maison. Et finalement, cela permet au propriétaire, étonné par la sagesse du saint homme, de retrouver la quiétude de ses nuits.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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