Contrairement à ce qu’on a pu dire, le président de la république Kaïs Saïed n’a pas renvoyé au président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Rached Ghannouchi, le projet de loi de réforme du texte relatif à la Cour constitutionnelle pour une nouvelle lecture. De fait, il l’a tout simplement rejeté pour illégalité, le texte réformé n’ayant plus de validité pour cause d’une formalité substantielle : le dépassement du délai impératif de sa mise en application. Ce qui pose problème et impose deux conséquences irrémédiables.
Par Farhat Othman *
Le problème est celui de l’instauration de la Cour constitutionnelle. Avec le rejet du projet de la réforme de son acte fondateur, un texte qui —même devenu problématique— est le seul applicable.
Les implications nécessaires
La première conséquence est que l’impasse étant totale au parlement, les deux autres autorités habilitées à nommer les membres de la Cour, sauf à devenir complices de l’inertie coupable des députés saisis par le démon politicien, ne doivent plus respecter la formulation du texte, devenue litigieuse sinon malicieuse.
Elles devraient s’acquitter de leur mission sans plus attendre, surtout qu’un membre de la Cour a déjà été élu et que la possibilité existe d’avoir le quorum nécessaire pour le démarrage des activités de la Cour même en l’absence des autres membres que refuse d’élire l’ARP.
La seconde conséquence est la confirmation, par la seule autorité habilitée aujourd’hui à interpréter une Constitution restée lettre morte, que celle-ci est bien le texte légal supérieur dans le pays, routes les lois nationales lui étant inférieures et devant donc y être conformes.
Aussi les juges ne doivent plus se sentir obligés d’appliquer les lois actuellement en vigueur et qui sont en infraction aussi bien avec la lettre que l’esprit de la Constitution.
Le devoir des juges
Les juges les plus légalistes – et nous n’avons pas cessé de les y inviter depuis l’entrée en vigueur de la Constitution – ne devraient plus s’abstenir d’appliquer les lois scélérates de la dictature en violation de la seule légalité comptant dans ce pays !
Certes, cela pourrait être source d’instabilité juridique, mais quelle instabilité est la plus grande : celle de jugements rendus en application de textes illégaux ou des interprétations divergentes, mais de bonne foi, du seul texte légal dans le pays ?
Si malgré tout une telle insécurité peut effrayer les âmes sensibles des juristes les plus tatillons, qu’ils s’en prennent alors non pas à la conséquence, soit la libre interprétation de la loi suprême par des juges justes, soucieux de s’y conformer, que sa cause qui est l’incurie du parlement à mettre en place le seul garant de la légalité dans ce pays en refusant d’instaurer la Cour constitutionnelle.
Si les juges osent enfin se montrer justes, alors et alors seulement on pourra parler de pas véritable, à la fois juridique et éthique, sur la longue voie de l’État de droit dans le pays, devant être et d’abord une société de droits et de libertés.
* Ancien diplomate et écrivain.
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