Lors d’une interview télévisée qui a suivi le coup de force constitutionnel du président de la république Kaïs Saïed en Tunisie, le 25 juillet 2021, le spécialiste des organisations islamistes et dissident des Frères Musulmans, l’Egyptien Tharwat Kharbawy, a déclaré que pour les décisions décisives Rached Ghannouchi, président du parti islamiste tunisien Ennahdha, filiale des Frères musulmans, devait référer à son supérieur hiérarchique et son mentor Ibrahim Mounir. Qui est cet homme très riche et très influent?
Par Imed Bahri
Dans l’islam sunnite, il n’y a pas de clergé. Pourtant, chez les Frères Musulmans, il y en a un très hiérarchisé et pyramidal et au sommet de cette pyramide, il y a Ibrahim Mounir sauf que le sommet de la pyramide ne pointe pas dans le ciel égyptien mais dans celui londonien. C’est depuis son exil doré britannique qu’Ibrahim Mounir règne sur les Frères Musulmans du monde entier.
De son nom complet Ahmed Ibrahim Mounir Mustafa, transcrit en anglais Ibrahim Munir, est un natif de Gizeh dans la proche banlieue cairote le 1er juin 1937 soit 9 ans après la fondation des Frères Musulmans à Ismaïlia par Hassan Al-Banna. Ce dernier étant décédé en 1949, Mounir ne connaîtra pas le fondateur des Frères mais connaîtra leur théoricien, l’extrémiste, l’anti-démocrate et surtout l’anti-occidental Sayyid Qotb.
L’ascension d’un petit chef
Ayant rejoint les Frères Musulmans dans sa jeunesse, Mounir se rapprochera de Qotb et sera même jugé dans le procès de la tentative d’assassinat de Nasser. Qotb sera condamné à mort et exécuté, Mounir écopera de la réclusion à perpétuité mais finira par sortir de prison et quitter l’Égypte pour s’installer dans le Golfe avant d’atterrir à Londres, la capitale mondiale des Frères où ces derniers trouveront dans le libéralisme anglais le terreau idéal pour s’épanouir.
Il ne faut pas oublier, à ce propos, les liens historiques qui lient les Frères Musulmans et les Anglais. C’est sous le colonialisme anglais qu’ils ont vu le jour en Égypte et le colonisateur anglais, machiavélique pour ne pas dire diabolique, a favorisé la création et le développement des Frères Musulmans afin de réduire l’influence des nationalistes et à leur tête le parti Wafd qui réclamaient l’indépendance.
Par conséquent, le choix d’Ibrahim Mounir et de beaucoup d’islamistes de s’exiler à Londres tout au long de l’histoire contemporaine n’est pas un choix anodin. Et c’est justement à Londres que l’exilé égyptien gravira les échelons du clergé frériste pour devenir leur responsable au Royaume-Uni, en Europe et enfin devenir le secrétaire général de l’Organisation internationale des Frères Musulmans et son porte-parole.
En septembre 2020, après l’arrestation au Caire d’Ibrahim Ezzat, guide des Frères Musulmans en Égypte, Mounir ajoutera cette corde à son arc. De plus, après le décès de Gomoa Amin, le très influent numéro 2 des Frères dans le monde, Ibrahim Mounir concentrera tous les pouvoirs car, comme on l’a vu, il est pour le moins que l’on puisse dire un cumulard et pour être sincère quelqu’un qui possède les pleins pouvoirs et, bien entendu, comme dans tous les mouvements habitués à la clandestinité, les cordons de la bourse.
Toutefois, le pape des Frères Musulmans ne voit pas que le ciel londonien s’assombrir pour les Frères. L’éviction du premier président issu des rangs des Frères Musulmans Mohamed Morsi en juin 2013 a été un coup dur car l’Égypte est le berceau des Frères mais aussi un État stratégique qui venait de leur échapper. Et depuis cette date, les ennuis ont commencé même à Londres. C’est là que le Premier ministre britannique de l’époque, le conservateur David Cameron, a désigné en mars 2014 le diplomate Sir John Jenkins afin de chapeauter une commission qui diligentera une enquête sur les Frères Musulmans, leur idéologie, leurs activités au Royaume-Uni, la question de leur compatibilité avec le pays, leur incidence sur la société, etc… Un travail de longue haleine et toutes les parties ont été écoutées y compris Ibrahim Mounir. Les conclusions du travail de la commission qui ont pu être rendues publiques ne plaident pas en faveur des Frères Musulmans, une première au Royaume-Uni jusque-là très permissif pour ne pas dire complice et amical avec eux.
Le règne mouvementé d’Ibrahim Mounir
On peut lire dans certains passages: «Les Frères musulmans essaient généralement de transformer et de remodeler les individus et les communautés par une approche ascendante et, si possible, de participer à la politique. Mais si nécessaire, les Frères musulmans sont prêts à utiliser la violence et la terreur dans la poursuite de leurs objectifs à long terme.» Également un autre passage intéressant dit clairement «Les Frères Musulmans en Occident utilisent le double langage, le récit public pour l’Occident en anglais dont le message est significativement différent de celui en arabe.» Un autre passage ne manque pas d’éloquence concernant le goût du secret des Frères ainsi que leur influence : «Beaucoup sur les Frères Musulmans au Royaume-Uni reste secret y compris l’adhésion, la collecte de fonds et les programmes éducatifs. Mais les membres et affiliés des Frères musulmans ici ont parfois eu une influence significative sur la plus grande organisation d’étudiants musulmans du Royaume-Uni, des organisations nationales qui ont prétendu représenter les communautés musulmanes (et sur cette base ont cherché et ont eu un dialogue avec le gouvernement), des organisations caritatives et certaines mosquées. Bien que leur influence nationale ait diminué, les organisations associées aux Frères musulmans continuent d’avoir une influence ici qui est disproportionnée par rapport à leur taille.»
Le rapport mentionne aussi comment les Frères incitent leurs membres à s’engager dans la vie politique britannique et à intégrer les partis politiques. Suite à ce rapport et à la mauvaise passe par laquelle ils passent bien que riches les Frères Musulmans ont décidé de faire profil bas et de se faire discret à Londres. Comme le rapporte le Daily Mail, les Frères Musulmans ont un local dans le quartier populaire de Cricklewood Broadway au-dessus d’une échoppe de kebab dans le nord-ouest de Londres, officiellement c’est le local de leur organe médiatique qui édite leur courrier en ligne hebdomadaire. Par conséquent, le règne d’Ibrahim Mounir n’est pas un grand moment de gloire pour les Frères.
Ibrahim Mounir ne porte pas Macron dans son cœur
Dans une lettre qu’il adressera à Emmanuel Macron à l’automne 2020 au lendemain du discours des Mureaux, discours du président français sur les séparatismes et en particulier le séparatisme islamiste, Ibrahim Mounir dénonce la remarque de Macron selon laquelle l’islam est en crise. Le pape des Frères Musulmans a en outre affirmé que Macron avait eu tort d’identifier les Frères musulmans avec l’isolationnisme, le radicalisme et le puritanisme. Il s’est également opposé à l’affirmation de Macron selon laquelle les Frères musulmans utilisaient la religion à des fins politiques, tentaient d’établir un ordre parallèle ou rejetaient la république française.
Mounir a assuré au président Macron, au peuple français et à tous les peuples que l’idéologie des Frères musulmans était enracinée uniquement dans la religion islamique. Il a affirmé que les Frères musulmans avaient défié les régimes qui ont délibérément poussé les musulmans à abandonner leur foi par ce qu’il a qualifié de transgressions illégales et inhumaines. Les Frères musulmans, a déclaré Mounir, «soutiennent les responsabilités sociales et respectent les droits des pays de leur résidence. Ils respectent leurs lois sachant que c’est la base de leur présence. Ils remplissent leurs devoirs et protègent la sécurité de leurs pays».
Le leader islamiste veut faire croire à Macron que les Frères Musulmans ne cherchent pas à imposer leur idéologie en Occident, qu’ils ne visent pas à y saper la cohésion sociale et qu’ils ne sont pas dans une logique expansionniste. Bref, les Frères Musulmans sont, à le croire, des chevaliers blancs.
Nous sommes exactement dans le double discours que pointait la commission de Sir John Jenkins. Un discours pour les responsables occidentaux et un autre en arabe pour leurs base. Emmanuel Macron, qui n’est pas né de la dernière pluie, a sans doute compris et saisi cette duplicité d’autant plus qu’il connaît leur travail de sape de la cohésion sociale en France surtout dans les banlieues et les villes où les populations musulmanes sont nombreuses. Et c’est tout naturellement qu’aujourd’hui en voyant le bras de fer entre Kaïs Saïed et Ennahdha qu’il s’est rappelé de la lettre d’Ibrahim Mounir et de son essence ce qui fait qu’il n’est pas dupe quant à la propagande victimaire des islamistes tunisiens orchestrée par l’un des cardinaux du pape Ibrahim Mounir en l’occurrence le perfide Rached Ghannouchi, l’ancien exilé d’Ealing Broadway devenu l’homme fort de la Tunisie en 2011 et qui est aujourd’hui mis à mal, mais prudence… ils feront tout pour ne pas perdre leur dernier fief et le pape Ibrahim Mounir fera tout pour les aider.
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