A l’heure où le parti islamiste d’Erdogan connait un net revers en Turquie, il est bon de tirer les leçons de ce scrutin.
Par Rachid Barnat
Les résultats des dernières élections législatives, sur lesquelles misaient les islamistes, mettraient-ils fin à leur rêve d’abolir la laïcité, qui contrarie leur programme d’islamisation de la Turquie?
Le président Recep Tayyip Erdogan jouait son va-tout dans cette élection. Si son parti, l’AKP (Parti de la justice et du développement, filiale turque des Frères musulmans), au pouvoir depuis 2002, avait fait un bon score, il projetait de modifier la Constitution, afin d’élargir ses pouvoirs présidentiels et construire sa «nouvelle Turquie», plus ottomane et, surtout, plus conforme à la charia.
Ces élections constituent le troisième échec pour l’organisation internationale des Frères musulmans, qui rêvaient du retour au califat!
D’abord en Egypte, où ils ont été dégagés, interdits et déclarés organisation terroriste. Puis en Tunisie où ils ont été dégagés démocratiquement. Et voilà que les Turcs, à leur tour, commencent à s’inquiéter de l’islamisation envahissante de leur société qui risque de leur faire perdre le statut de république laïque. Il était temps!
Il n’y a qu’en Tunisie, malgré leur échec et le vote hostile des électeurs qui les ont dégagés à trois reprises, qu’ils restent au pouvoir parce que les Etats-Uns et l’Union européenne «apprécient» leur islamisme «modéré».
1°/ Le ras-le-bol des femmes :
Si les Frères musulmans ont gagné en visibilité dans la société turque, c’est grâce aux femmes dont beaucoup, sous la pression sociale, se sont voilées. Or le ras-le-bol des Turcs vis-à-vis des «Frères» viendra surtout d’elles depuis qu’Erdogan affichait sa misogynie et celle de ses «Frères»… dont le «programme politique» est axé sur le contrôle de la femme et de son sexe.
Enfin les femmes turques sortent de leur passivité de 13 ans pour dire NON à Erdogan en lançant la campagne sur les réseaux sociaux de lui «tourner le dos».
On sait que les islamistes utilisent les femmes comme porte-drapeau de leurs partis et que par une «éducation» spécifique, celles-ci préparent des générations d’abrutis pour former une base leur permettant de conserver le pouvoir.
Les Tunisiennes tireront-elles la leçon de l’action des Turques qui, après 13 ans de pouvoir islamiste, réalisent qu’elles sont en train de perdre les acquis de la Turquie laïque… en soutenant leurs pire ennemis: les Frères musulmans? Braderont-elles leurs acquis? Pourtant, certaines inconscientes l’ont déjà fait ignorant les combats de leurs mères et de leurs grands-mères pour les obtenir; d’autant que Bourguiba n’a pas attendu qu’elles luttent d’avantage pour leur accorder des droits; car il a compris qu’elles sont le fer de lance de la Tunisie moderne et que sans l’émancipation de la femme, il n’y aura point de progrès pour les Tunisiens.
Or les Tunisiennes n’ont pas tiré la leçon de leurs sœurs iraniennes qui se sont fourvoyées chez les islamistes croyant les soutenir pour chasser le Chah d’Iran, se sont affublées volontairement du tchador, mais se sont retrouvées piégées et obligées de le conserver après la «révolution islamiste» de Khomeiny.
N’ont-elles pas compris que l’islamisme est leur pire ennemi?
Une militante du Parti démocratique du peuple (HDP) fête la demi-défaite des islamistes aux élections législatives, dans les rues de Diyarbakir, sud-est de la Turquie (Ph. AFP).
2°/ Le refus du totalitarisme des «Frères» :
L’AKP avait utilisé sans discrétion les moyens de l’Etat, transformant des commémorations officielles en meetings politiques. Ce parti a déjà montré sa vérité hégémonique en s’attaquant aux libertés et à la presse notamment ! Erdogan espérait obtenir les 2/3 des sièges pour pouvoir changer la constitution, passer à un régime présidentiel et concentrer ainsi tous les pouvoirs entre les mains des islamistes.
Malheureusement pour lui, il devra abandonner ce rêve puisqu’il n’a pas eu la majorité absolue au parlement.
Et dire que les responsables politiques européens vantent l’islamisme «modéré» des Frères musulmans auprès des Tunisiens mais le refusent chez eux puisqu’ils empêchent l’entrée dans l’Union européenne aux «Frères» turcs! Et que dire du démocrate Obama qui insiste auprès des Européens pour qu’ils les intègrent à l’UE.
Allez comprendre quelque chose au raisonnement (et aux calculs) de tous ces «démocrates» occidentaux, «droits-de-l’hommistes» de surcroît!
3°/ L’attachement des Turcs à la laïcité et à la liberté :
Depuis que les islamistes ont pris le pouvoir, les Turcs ne se risquent plus à parler politique en public de peur de la police politique des «Frères» qui contrôle tout.
Les «Frères» ont les moyens de faire regretter leurs critiques à ceux qui ne sont pas de leur bord. Ils appliquent les techniques classiques des régimes totalitaires dont le contrôle fiscal et la comparution devant la justice.
Les plaintes pour «insulte au président» courent devant les tribunaux turcs: lycéens, artistes, journalistes sont poursuivis pour un tweet, un geste, une critique…
La Turquie, où la prise de parole a toujours été assez libre (sauf autrefois pour les Kurdes et les Arméniens), se retrouve, comme la Russie de Poutine, tétanisée par la crainte des représailles.
Pratiques que les Tunisiens ont connues durant les quatre ans de pouvoir d’Ennahdha, filiale tunisienne de l’organisation internationale des Frères musulmans… lorsque la justice fonctionnait à plein régime pour ceux qui osent s’opposer à Ghannouchi : les journalistes et les artistes en savent quelque chose !
Pour ces raisons, les Turcs commencent à rejeter les Frères musulmans, car ils veulent vivre en démocratie, y compris les électeurs favorables à l’AKP.
4°/ La religion omniprésente commence à agacer les Turcs !
Il y a deux sortes de croyants: ceux qui veulent vivre leur foi en toute liberté et ceux qui sont sous la coupe des confréries, par exemple celle de Fethullah Gülen, très puissante dans la fonction publique. Cette dernière catégorie veut empêcher la première de vivre sa foi comme elle l’entend.
La Turquie manque de main-d’œuvre qualifiée car les écoles techniques ont été délaissées et la scolarité obligatoire a été réduite par l’AKP à une durée de quatre ans, au lieu de huit précédemment; le gouvernement ayant favorisé l’émergence des écoles religieuses (imam hatip), ce qui correspond au parcours suivi par Recep Tayyip Erdogan dans sa jeunesse.
Or l’économie a davantage besoin d’ouvriers qualifiés que de diplômés des écoles religieuses; lesquelles, comme leur nom l’indique, sont censées former des imams.
Les Turcs dont l’islam traditionnel est plus marqué par le soufisme et sa tolérance, découvrent que les Frères musulmans distillent par petites touches le wahhabisme qui fonde leur action politique et qui a contribué à la chute de l’empire ottoman.
Quant à l’islam modéré traditionnel des Turcs, les «Frères» le remplacent par «l’islamisme modéré» qui plaît tant aux Américains car il favorise le capitalisme sauvage, dont souffre la société turque où le chômage est galopant et ceux qui travaillent ont vu leur niveau de vie baisser.
Tout comme en Tunisie, où les «Frères» ont contribué à déstabiliser l’économie du pays pour paupériser les classes moyennes et accentuer la misère des classes pauvres, conditions nécessaire pour diffuser le wahhabisme.
Donnez votre avis