Le projet de constituer un gouvernement d’union nationale est une tentative pour dissoudre toute opposition, de diluer les responsabilités et de répartir l’échec.
Par Moncef Kamoun *
Le président de la république Béji Caïd Essebsi s’emploie à rallier toutes les parties et tous les partis à sa proposition de constituer un gouvernement d’union national. Cette idée n’a rien de nouveau : on l’a déjà expérimentée et elle a conduit à l’impasse actuelle dans laquelle se trouve la Tunisie.
Rappelons-nous : c’était lors de la reprise des concertations entre le chef du gouvernement Habib Essid avec les partis politiques, le 2 février 2015, qu’il a été décidé que tout le monde soit au pouvoir et que l’opposition soit réduite à la portion congrue. C’est ainsi que le 1er gouvernement Essid a compté des ministres issus de Nidaa Tounes (86 sièges à l’Assemblée des représentants du peuple, dont une trentaine démissionneront par la suite), d’Ennahdha (69 sièges), de l’Union patriotique libre (UPL, 16 députés, dont plusieurs démissionneront par la suite) et d’Afek Tounes (8 élus). Le nouveau cabinet pouvait donc compter sur le soutien de 179 voix sur les 217 parlementaires que compte le parlement. Et donc gouverner sans véritable opposition digne de ce nom.
Sans opposition forte, c’est de nouveau le parti unique
L’opposition est généralement constituée des partis politiques ou des mouvements n’appartenant pas à la majorité parlementaire et qui, donc, s’y opposent. Et la démocratie est par définition un exécutif élu par la nation et contrôlé par l’opposition parlementaire.
L’opposition a donc plusieurs fonctions : elle constitue tout d’abord un contre-pouvoir, c’est-à-dire qu’elle permet d’éviter que la majorité, une fois parvenue au pouvoir, ait la tentation de mener une politique portant atteinte aux droits et libertés, comme ce fut le cas de la Troïka, la coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha, qui a gouverné la Tunisie en 2012 et 2013.
Participant au pluralisme politique, qui est une des bases de la démocratie, l’opposition représente aussi la possibilité d’une alternance politique. Son rôle est donc essentiel à la démocratie, notamment en provoquant le débat et en obligeant le gouvernement à s’expliquer. Et même si elle ne gouverne pas, son rôle n’est pas moins primordial, puisqu’elle est censée offrir des alternatives politiques, défendre les intérêts de ses électeurs, améliorer la procédure parlementaire de prise de décision en garantissant un débat contradictoire et une réflexion approfondie, examiner attentivement les projets de loi et le budget du gouvernement, surveiller et contrôler l’activité du gouvernement et de l’administration, et contribuer ainsi au renforcement de la stabilité, de la légitimité, de l’obligation de rendre compte et de transparence du processus politique.
L’opposition permet enfin de renouveler le personnel politique : lorsque la majorité perd le pouvoir, les hommes politiques se trouvant dans l’opposition sont prêts à assumer des fonctions importantes en cas de victoire électorale.
L’absence d’une opposition forte au parlement peut aboutir à une forme d’opposition extraparlementaire dont les revendications peuvent s’exprimer, et parfois violemment, dans la rue.
La majorité doit donc respecter la minorité opposante et celle-ci ne doit pas empêcher les gouvernants d’agir, car ils ont reçu un mandat politique par une majorité de citoyens. Elle contrôle le pouvoir de la majorité et propose des alternatives, mais ne remet pas en cause la nature du régime et les règles constitutionnelles.
Une vraie fausse solution
Aujourd’hui, après plus que 16 mois de l’investiture du gouvernement Essid, on constate toujours un grave déficit d’Etat. On nous a pourtant promis que l’année 2015 sera celle du travail, de l’effort, de la stabilité, de la consolidation de l’autorité de l’Etat et du rétablissement de la confiance dans les institutions. Or, il n’en fut rien.
L’autorité de l’Etat suppose un exécutif efficace, crédible et loyal et des responsables compétents et surtout audacieux. Ce qui est loin d’être le cas, aujourd’hui, où nous allons vers une catastrophe annoncée.
Cette issue était pourtant prévisible le jour où il a été décidé de faire entrer tous les partis au pouvoir, tentation qui semble encore animer le président Caïd Essebsi, qui pour sortir le pays de la crise a proposé la mise en place d’un gouvernement d’union nationale où toutes les parties et tous les partis seraient représentés, dans une volonté évidente de ne pas assumer la responsabilité de l’échec et de le répartir équitablement entre tous les acteurs de la scène politique.
La manœuvre est cousue de fil blanc. Si elle donne l’illusion d’une hypothétique solution à la crise, elle n’a, en réalité, qu’un seul but : restaurer l’image gravement écornée d’un exécutif dont le bilan a été, jusque-là, catastrophique.
*M.K Architecte.
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