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Essid devant l’Assemblée : Mise à mort et démagogie populiste

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A quoi aurait servi le débat parlementaire de ce weekend sinon qu’à montrer une élite politique engoncée dans ses petits calculs partisans, sans vision ni perspective d’avenir ?

Par Salah El-Gharbi

Samedi dernier, tous ceux qui avaient suivi les débats à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) ont dû comprendre pourquoi Habib Essid avait tenu à aller devant la représentation nationale. Ce choix d’aller à l’Assemblée, présenté à l’opinion publique comment étant un acte dicté par le souci de l’actuel chef du gouvernement de respecter la constitution, s’avère être un acte animé par un désir de clarification voire de vengeance.

Une tragédie grecque

Ulcéré, l’homme, qui n’était qu’un «Mehdi Jomâa bis», cherchait, à travers son acte, à embarrasser le président de la république Béji Caïd Essebsi, le parti au pouvoir (Nidaa Tounes) et ses alliés (Ennahdha, UPL et Afek Tounes). Il en voulait au chef de l’Etat de l’avoir nommé Premier ministre en janvier 2015, pour le congédier après d’un an et demi de «loyaux services», le privant ainsi du rêve, qu’il commençait à caresser (échaudé par l’indulgence des classes populaires), de terminer en apothéose une carrière demeurée jusque-là trop lisse.

Manifestement, Habib Essid a réussi son coup. Pour s’en apercevoir, il suffisait de suivre le déroulement des séances et d’écouter les interventions des députés durant le weekend.

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On retire la confiance au gouvernement Essid, en l’applaudissant chaleureusement!  

En effet, le débat sur le renouvellement de la confiance au gouvernement était l’occasion pour les élus de la république de se livrer à d’interminables prestations théâtrales dignes d’une tragédie grecque. Ainsi, un simple changement de gouvernement, événement banal qui fait partie des règles de jeu démocratique, s’est-il transformé en un drame national et les séances de débats en une cérémonie de sacrifice avec sa liturgie et son rituel. On n’avait qu’à recenser la fréquence des mots «sacrifice», «victime», «bouc émissaire» ou «fusible» pour mesurer la portée dramatique qu’ont prise les débats.

Durant deux jours, les téléspectateurs ont eu droit à une panoplie d’interventions fébriles, grandiloquentes et théâtralisés à outrance. L’éloquence studieuse et presque scolaire de notre élite politique nous a été donnée à entendre avec ses interminables redondances et ses envolées laborieuses.

En fait, ces performances rhétoriques, inégales et généralement attendues car téléphonées, représentaient des postures variant en fonction de l’obédience de l’élu et de la position de son parti dans l’échiquier. Ainsi, les députés de Nidaa, obéissant aux recommandations du Palais de Carthage (comme du reste ceux d’Afek et de l’UPL), sont restés dans la mesure, tenant un discours globalement nuancé, ménageant Habib Essid tout en justifiant à l’avance leur refus de lui renouvelant la confiance.

La position des «Nahdhaouis» n’a pas été différente : ils ont affiché une certaine déférence à l’égard de l’ancien conseiller sécuritaire de Hamadi Jebali, leur ancien secrétaire général et ancien chef de gouvernement provisoire, tout en évitant d’insulter l’avenir.

Plus tacticiens étaient les députés d’El-Horra, pour lesquels les débats étaient l’occasion pour se démarquer de Nidaa, leur ancien parti, sans tomber dans la démagogie populiste de certains éléments de l’opposition. Il s’agissait de tacler, implicitement, le président de la république et son fils Hafedh Caïd Essebsi, patron autoproclamé de Nidaa, sans pour autant sortir les armes lourdes, étant donné que Machrou Tounes reste associé au projet du «gouvernement d’union nationale» et plaide pour un large front républicain où Nidaa a nécessairement encore sa place.

Une catharsis collective

Pour l’opposition, et ses deux tonalités dominantes, «marzoukienne» (par allusion à l’ancien président provisoire Moncef Marzouki) et «hammamienne» (en référence au porte-parole du Front populaire), le recours de Habib Essid à l’Assemblée a été du pain béni. Ce fut, en effet, une occasion pour ces deux courants de se livrer à une débauche verbale, fustigeant, à la fois et sans merci, le président de la république, la coalition au pouvoir, mais aussi, les «mafias», les «lobbies», les «réseaux de la corruption»…

Ainsi, les téléspectateurs ont eu droit à une avalanche de diatribes sommaires, souvent peu argumentés, visant, plutôt, à gagner la sympathie de l’opinion qu’à contribuer à enrichir un débat politique et à éclairer l’avenir.

En bons tribuns, les députés du Front, habitués aux meetings estudiantins, se sont empressés d’attaquer sans ménagement les autorités tout en exprimant une sorte de compassion feinte à l’égard de M. Essid, désigné comme victime de la stratégie de manipulation du chef de l’Etat.

Le discours de classe, très conventionnel, très clivant, devient outrancier lorsque, l’un des tribuns s’est mis à défier l’autorité même de l’Etat («On n’a pas peur de votre armée», a-t-il lancé), faisant allusion aux rumeurs selon lesquelles le bassin minier de Gafsa, principal fief de la contestation sociale, pourrait être proclamé zone militaire et sa gestion confiée à l’armée.

De cette joute oratoire, tout le monde est sorti gagnant. Les uns ont quitté l’Assemblée, soulagés après s’être débarrassé d’un fardeau encombrant en la personne d’Essid. Les autres, en l’occurrence les députés de l’opposition, sont partis fiers d’avoir réussi leurs parades, en attendant la suite des événements.

En regardant à la télévision les débats de l’Assemblée au cours du weekend, on avait l’impression d’assister à une campagne électorale avant la lettre, avec l’étalage, convenu et sans surprise, des habituels conflits et contradictions animant notre scène politique. Dans ce contexte, rien de nouveau sous le soleil de la Tunisie.

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