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Abir Moussi et Raziya Sultana : une histoire de chevaux !

Jouant sur les symboles politiques, Abir Moussi, leader du Parti destourien libre (PDL), a paradé récemment à cheval, oubliant que la Tunisie a désormais besoin de la pensée de Habib Bourguiba, et pas de son cheval.

Par Dr Mounir Hanablia *

Tous les férus de l’Histoire de l’Inde savent, dans quelles circonstances, au XVIIe siècle, les princes Moghols se sont affrontés pour le pouvoir. Dara était le tenant d’un islam soufi syncrétiste tolérant très proche de la Bhakhti hindoue, et son frère Aurangzeb celui du courant sunnite rigoriste proche de l’actuel wahhabisme qui ne voyait dans les polythéistes que des infidèles qui n’auraient le choix qu’entre la mort ou la jizya . Les deux armées avec à leurs têtes chacun des princes se rencontrèrent donc dans une bataille qui fit de nombreuses victimes. Finalement, l’armée de Dara, prit le dessus, et celle de son frère commença à fléchir. Voyant la partie perdue, les traîtres vinrent lui annoncer la bonne nouvelle en le priant de descendre de son éléphant pour monter à cheval et mener la poursuite.

Histoire d’éléphants et de chevaux

C’était une ruse : en Inde, le soldat combattant devait toujours être capable de voir son Roi, afin d’être sûr qu’il soit vivant, et la meilleure manière pour cela était de le jucher sur l’éléphant le plus grand durant la bataille, afin que toute l’armée pût s’assurer de sa présence. Mais dans le feu de la bataille, le prince Dara oublia ce détail crucial, et quitta le dos de l’éléphant, une décision qui lui coûta très cher. Le bruit courut alors qu’il avait été tué au cours de la bataille, et l’armée, ne voyant plus son prince là où il devait se trouver, fut prise de panique, et quitta le champ de la bataille, consacrant ainsi la victoire d’Aurangzeb et scellant du même coup le destin de la domination politique des musulmans en Inde .

En voyant la vidéo de Abir Moussi à cheval, lors de sa visite à la Kalaa Kebira (Sousse), c’est le récit de cette bataille qui m’est revenu en mémoire. Voilà une dame qui commençait acquérir une stature politique et à regrouper derrière sa bannière tous ceux qui estiment à juste titre que l’islamisme politique constitue un danger mortel pour le pays, parce qu’elle est la seule à avoir ciblé la source du mal, en promettant de le combattre.

Face à la vaillance et à la probité de cette femme, ses adversaires n’ont été capables d’utiliser contre elle qu’une seule carte, son soutien indéfectible à l’ancien dictateur Ben Ali, qu’elle n’a jamais renié, prouvant, selon eux, son intention de rétablir un régime politique autocratique.

Personne n’avait jusqu’à présent prêté attention à ces accusations, qu’on considérait comme de simples calomnies à visée électorale, et pour cela elle n’a même pas eu besoin de les dénoncer. Mais voilà, cette fière parade à cheval diffusée sur les réseaux sociaux risque d’avoir des conséquences, sur le sort de la bataille électorale, puisqu’elle semble déjà annoncer un éventuel retour du culte de la personnalité, ce qui confirmerait les accusations de «Novembrisme» (partisans de l’ancien président Ben Ali, Ndlr) de ses détracteurs. Mais même, pour peu qu’on veuille bien disculper Mme Moussi, en admettant qu’elle eût agi de bonne foi et qu’elle ne mesurât pas encore le poids des symboles en politique, cette parade prouverait à tout le moins que à l’instar du Prince Dara, elle ne fût pas bien conseillée , ce qui pour un candidat à la magistrature suprême, ne laisserait pas d’inquiéter.

Il y a des fautes à ne pas faire

En Inde, tous les écoliers connaissent l’histoire de la princesse musulmane Sultana Raziya qui hérita de son père, au XIIIe siècle, le trône de Delhi, dans une société médiévale rigoriste et misogyne. Raziya montait à cheval, s’habillait et se battait comme un guerrier. Pourtant ses ennuis commencèrent lorsqu’elle prit l’habitude de se faire aider pour mettre le pied à l’étrier, par son esclave abyssin. Ses ennemis y trouvèrent l’occasion de contester son autorité en l’accusant d’adultère. Et elle mourut tragiquement au décours d’une bataille.

Finalement, quand on prétend être chef d’Etat dans un pays musulman plutôt conservateur sur le plan des principes, affronter et supplanter des adversaires qui usent de la fibre religieuse rétrograde pour se maintenir au pouvoir, et lorsqu’on est soi même l’ancien partisan d’un dictateur déchu, il y a des fautes à ne pas faire, si on ne veut pas tout bonnement se retrouver en butte à la pire des accusations en politique , celle de manquer d’expérience. Mme Moussi, c’est de la pensée de Bourguiba que le pays a désormais besoin, et pas de son cheval.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa. 

Abir Moussi, sur son grand cheval, à la conquête de Kalaa Kebira (Vidéo)

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