Cela n’était presque jamais arrivé. Depuis plusieurs jours, et avec le retour du beau temps, on distingue très nettement, à partir des hauteurs de Gammarth, la côte du Cap Bon, avec Korbous, ainsi que les îles de Zembra et de Zembretta.
Par Dr Mounir Hanablia *
Habituellement une visibilité d’une telle qualité ne dure pratiquement jamais plus d’une matinée, et encore plus rarement, une journée. La plupart du temps ces îles sont drapées dans un limbe brumeux, qu’on avait pris l’habitude de mettre sur le compte de l’humidité marine, ou de la réverbération du soleil. Mais c’était avant que le Covid-19 ne frappe de la dramatique manière que l’on sait la voisine bottée du nord de la Méditerranée, depuis lors soumise à un sévère slow-down. Et ainsi que l’exemple chinois l’a démontré, le ralentissement économique a eu pour conséquence la dissipation du nuage toxique d’oxyde de carbone et d’azote, ou de gaz sulfurés, qui recouvrait les zones les plus frappées par la pandémie.
Les idées fausses peuvent avoir la vie dure
Ce tableau enchanteur de la baie de Tunis aurait donc un prix, plus de 30.000 morts sur l’autre rive. Et avec le début du ramadan, les premiers baigneurs ont repris le chemin des plages de la Mare Nostrum; une manière comme une autre d’écourter les journées, particulièrement prisée par les jeunes, et par les temps qui courent, d’échapper au semblant de confinement dont on avait fini par se faire une raison. Beaucoup pensent que sur le sable chaud, ils soient en sécurité, tout comme dans l’eau salée, censée lyser les virus.
Rien ne saurait être plus faux; dans 1 ml d’eau de mer, il peut y avoir jusqu’à 100.000 virus, et ils jouent un rôle considérable dans le maintien de l’équilibre marin. Ils interviennent dans la décomposition de plus de 20% des micro-organismes marins, le plancton. Quant aux petits grains de poussière de sable, rien de tel qu’un bon vent pour propager vers les poumons les virus qui s’y fixent grâce à leurs enveloppes collantes.
Sur le chapitre de la chaleur protectrice, il n’est qu’à relever l’épidémiologie de la maladie dans les pays du Golfe ou en Afrique, pour constater combien les idées fausses peuvent avoir la vie dure, et peut être autant que celle du Sars Cov 2.
Le peuple tunisien s’en remet à la protection divine
Ainsi, afin d’expliquer le faible nombre de cas enregistrés, on a incriminé l’ail, l’huile d’olives, l’absence dans le régime alimentaire de la viande de porc, la particularité du patrimoine immunitaire tunisien, un pic pandémique en décembre 2019 ainsi que l’avait affirmé un collègue radiologue sur la foi d’une étude rétrospective de scanners probablement à la recherche des images désormais à la mode de ground-glass.
Dieu seul sait tout ce que l’on n’a pas invoqué pour justifier la protection divine dont bénéficierait le peuple tunisien. Mais quand on pense à ce qui s’est passé en Algérie, pas si différente de nous dans son patrimoine génétique humain, la consommation de harissa et de couscous, où la sortie du confinement s’est accompagnée d’une nouvelle flambée de la maladie, on comprendra que toutes ces arguties ne soient dignes que des contes de fées.
Le premier jour de la sortie officielle «à la carte» du confinement, prônée par le chef du gouvernement, a ainsi été l’occasion d’une prise d’assaut de la rue par une foule surgie de nulle part, dans tout le pays. Un commentateur sarcastique s’est même demandé ce qu’il en serait advenu, si ce dé-confinement là n’avait pas été qualifié d’intelligent.
Une dame venue consulter dans un dispensaire d’un quartier populaire, a tout résumé quand elle s’est scandalisée que l’on ait osé exiger d’elle le port de la fameuse bavette avant l’accès au bâtiment. «Vous devriez avoir honte. De toute façon, si nous mourons, ce sera la volonté de Dieu», finit-elle par dire. Personne n’a osé lui demander pourquoi, dans ce cas, elle était venue consulter.
Tout comme la population du Michigan ou de la Californie, le peuple tunisien, c’est-à-dire la rue, a décidé en fin de compte de pratiquer la politique de l’Autruche, et les avertissements du gouvernement de recourir au re-confinement si les choses tournaient mal apparaissent plus comme les gesticulations d’une autorité dépassée et désireuse de sauver la face.
Aux habituels effets pathologiques du virus, que maintenant on connaît de plus en plus, s’en est surajouté ainsi un autre, l’hallucination, et parfois l’hystérie, collectives.
Mais évidemment ces hautes résolutions ne résistent généralement pas à aux réalités à partir d’un certain seuil, qui ne peut être que celui des morts. Et des morts, le fameux pacte secret concocté avec la Turquie et le Qatar, provisoirement passé aux oubliettes, peut aussi en faire, quand ce ne serait pas un attentat terroriste chargé de temps en temps de nous vanter les bienfaits du compromis.
Entre Erdogan, le virus, et la faim
Que le chef du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi, par ailleurs président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), en empiétant sur les prérogatives du chef de l’Etat, ait décidé d’entraîner la Tunisie dans le sillage du couple infernal turco qatari, n’étonne pas, du moment que des milliers de jeunes tunisiens eussent déjà combattu en Syrie et en Irak, du temps de la «troïka», coalition gouvernementale conduite par le même Ennahdha, et de l’Etat islamique, sans que quiconque en ait été tenu comptable.
Depuis le départ de Ben Ali, les Turcs nous ont exporté des pommes, des biscuits, des bonbons, des cacahuètes, et des amandes, mais aussi du prêt-à-porter et de l’électroménager, et en contrepartie nous leur avons envoyé de la chair à pâté, tailler des croupières larges dans les rangs des chiites et des alaouites alliés de l’Iran, de la manière que l’on sait. Il n’est pas étonnant qu’Erdogan trouve précieuse toute alliance lui procurant des mercenaires prêts à aller au paradis pour réaliser les ambitions géostratégiques de son pays. La perspective d’une part du pétrole libyen aiguise ses convoitises, et celle d’une plus que probable guerre de l’après-Covid, nécessaire pour relancer la machine économique américaine, se profile à l’horizon, dont ses alliés ne voudraient pas faire les frais par l’instauration sur leurs arrières d’un régime politique proche du Général Sissi, leur bête noire, et de ses protecteurs saoudien et émirati . Cela, ils se gardent bien de le dire. Pour arriver à leurs fins, ils veulent entraîner l’Etat tunisien dans une alliance servant leurs intérêts partisans et dont seuls une puissance étrangère tirera bénéfice.
Malgré cela il se trouve encore des gens, dont au moins 25% des députés soient les représentants, pour penser qu’une alliance avec les Turcs soit préférable à celle avec… la France, parce qu’«au moins, ils sont musulmans»; comme si Mohammed Ben Salman, ou le Cheikh Ben Zayed, ne l’étaient pas moins. Mais il y a longtemps que la France n’envoie plus ses goumiers maghrébins combattre à Cassino ou aux Aurès. Et entre Erdogan, le virus, et la faim, une partie de l’opinion publique tunisienne a choisi le virus en pensant que la «faim» pouvait justifier les moyens.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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