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Crise de nerfs à l’assemblée : de maison à raison close

Nabil Karoui est en train d’assumer une lourde responsabilité dans le prestige que Seifeddine Makhlouf et son parti sont en train d’accumuler en tant qu’alternative défiant ouvertement et impunément l’Etat et dont la caution est nécessaire au faible gouvernement de Hichem Mechichi pour l’approbation du projet de la loi des finances 2021.

Par Dr Mounir Hanablia *

Le député Attayar Anouar Bechahed a été blessé au front par un objet coupant, au cours d’une algarade avec les députés d’Al-Karama, à l’Assemblée des représentants des peuples (ARP), se rapportant au sermon qu’on peut baptiser «des maisons closes» de leur camarade, le Dr Mohamed Affés. Ceux-ci ont reconnu avoir riposté à une insulte visant la mère récemment décédée de leur porte-parole, l’avocat Seifeddine Makhlouf, et contre ceux qui les accusaient d’être des terroristes.

Foire d’empoigne à l’Assemblée

Il est vraisemblable que cette blessure soit survenue au cours de l’empoignade, et la victime, n’étant pas sûre de l’identité du coupable, a été accusée de mensonge. L’implication malveillante lourde de sous entendus, par les agresseurs, de la députée Amira Charfeddine, accusée d’avoir griffé involontairement la victime au visage en tentant de la soustraire à la fureur des assaillants, a démontré, pour peu que cela fut nécessaire, le mépris de la vérité et de l’éthique qui est devenu la norme au sein de cette assemblée, parmi les partis les plus violents.

Amira Charfeddine, qui a porté plainte, répond en effet physiquement plutôt bien à la femme moderne et libre ciblée dans son sermon, par l’ancien apologiste du jihad en Syrie dans les rangs de Daech, le Dr Mohamed Affes. Celui-ci, versets du Coran à l’appui, a persisté et signé en refusant catégoriquement de s’excuser pour ses propos.

Le chef du groupe d’Al-Karama, ulcéré par l’attitude du président de la république, Kaïs Saïes, recevant le blessé et condamnant le terrorisme, l’a mis au défi de prendre quelque mesure que ce soit contre lui, et est même allé jusqu’à lui dénier sa qualité de président. Il a implicitement évoqué la possibilité de faire descendre ses partisans dans la rue. Il a même dénoncé la tentative de parlementaires de voter une motion condamnant les propos du député fautif au nom du respect de l’immunité parlementaire… et de la Constitution.

La bataille pour le contrôle de la rue

Les choses n’en sont pas restées là. Un député d’Ennahdha, a porté plainte contre des femmes masquées qui ont brisé le pare-brise de sa voiture devant le portail de l’ARP. Mais d’autres femmes présentes ont apporté une autre version de l’incident, l’accusant d’avoir tenté de passer en force au risque de les écraser alors qu’elles manifestaient.

Tout ceci se déroule alors que le délai d’approbation de la loi des finances 2021, très contestée, touche à son terme. Il est donc clair que la coalition Al-Karama ait choisi pour différentes raisons ce moment précis pour se poser en défenseur intègre de la liberté d’expression, des valeurs de l’islam et des couches déshéritées, durement frappées par la crise économique, et de plus en plus impliquées dans les coordinations populaires de protestation chapeautées par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Et le fait que le président de l’ARP, le chef islamiste Rached Ghannouchi, ait choisi de condamner la violence sans en nommer les responsables et les auteurs, ni demander la levée de leur immunité parlementaire, ne peut être assimilé qu’à un soutien. M. Ghannouchi aura ainsi sorti une autre carte de sa manche, pour l’user autant contre ses détracteurs de plus en plus nombreux dans son propre parti, que contre le président de la république ou Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre (PDL), son ennemie jurée.

Apparemment la bataille pour le contrôle de la rue a commencé avec la dissémination des coordinations dans toutes les villes du pays, le sit-in victorieux du PDL devant le siège de l’Association internationale des ulémas musulmans, et le rassemblement devant la Haute autorité indépendance de la communication audiovisuelle (Haica) des partisans du cheikh Said Jaziri pour la légalisation de sa Radio du Coran, diffusant illégalement depuis plusieurs années. Or on ne peut pas assimiler une action dans la rue contre une organisation idéologiquement inféodée à l’étranger visant à subvertir la société, à une autre faisant pression sur une institution publique pour sauvegarder des intérêts privés, ou bien paralysant l’activité économique du pays.

Ceci étant entendu, le message islamiste égalitaire véhiculé par Al-Karama à travers facebook est mobilisateur parce que dans un pays musulman il joue sur la fibre religieuse, et beaucoup de déçus d’Ennahdha, ainsi que tous ceux qui portent une véritable haine de classe à un establishment considéré en outre comme culturellement allogène, y verront sans aucun doute leur nouvel espoir.

Le serpent qui précipite le pays vers de funestes destinées

Evidemment en s’associant avec Nabil Karoui, le président du parti Qalb Tounes, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il ne soit pas l’exemple le plus respectueux des valeurs défendues par le Dr Affès, M. Makhlouf a déjà amplement démontré que la bannière verte du prophète n’était pour lui que l’épée du jihad brandie par Mussolini à Tripoli en 1937, ou par les Soviets au congrès de Bakou en 1920.

Tout ceci confirme bien une chose, les partis politiques actuels sont dénués de programmes, mais quelques uns possèdent des stratégies de communication diffusées et évaluées à travers les réseaux sociaux, ce qui depuis l’affaire Cambridge Analytica et l’arrivée au pouvoir du M5 Stelle en Italie est bien dans l’air du temps.

En revanche, la situation politique actuelle renvoie à certains égards à l’avènement en Allemagne de la République de Weimar en 1919 avec comme toile de fond la crise économique, l’insurrection spartakiste et la montée du national-socialisme soutenu par certains milieux d’affaires effrayés par le spectre de l’anarchie; un national-socialisme du pauvre avec évidemment l’industrialisation en moins.

M. Karoui a ainsi refusé de dénoncer son alliance avec un parti dont les députés prêchent l’avènement d’un Etat moyenâgeux, soutiennent la violence et le terrorisme, et prônent ouvertement la sédition. Sa condamnation purement formelle de la violence et des propos tenus contre les droits des femmes ne le souligne que mieux. Fait significatif, le patron d Nessma TV n’a pas dénoncé les propos tenus contre le président de la république. Il est en train d’assumer une lourde responsabilité dans le prestige que M. Makhlouf et son parti sont en train d’accumuler en tant qu’alternative défiant ouvertement et impunément l’Etat et dont la caution est en outre nécessaire au faible gouvernement de Hichem Mechichi pour l’approbation du projet de la loi des finances de la prochaine année.

En subordonnant le respect des lois à ses intérêts politiques et économiques, M. Karoui obéit donc à sa propre raison close; il demeurera pour la postérité comme l’un des hommes qui, dès le départ, auront couvé en leur sein le serpent qui précipite le pays vers de funestes destinées.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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