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Guerre en Ukraine : Le bâton Swift face à la carotte russe

En l’absence de carotte, le bâton Swift risque d’être inefficace, en tant que sanction pour obliger la Russie à arrêter les opérations militaires en Ukraine, et toxique pour le système Swift lui-même et ses utilisateurs à travers le monde. Explications…

Par Mahjoub Lotfi Belhedi *

La fameuse expression «le bâton et la carotte» renvoie à l’histoire d’un âne qui n’avance pas si on ne lui offre pas, pour le motiver, une carotte. Les relations internationales n’échappent pas à cette alternance du bâton et de la carotte.

Tout récemment, en guise de riposte á l’invasion russe de l’Ukraine, les pays occidentaux ont actionné le bâton Swift sans prévoir de carotte dans l’emballage. Aussi, et après l’euphorie de l’effet d’annonce, le doute commence à gagner les Européens  (particulièrement les Allemands, Français et Italiens) quant aux retombées contre-productives d’une telle sanction sur leurs importations massives d’hydrocarbures russes…

Le bâton Swift

Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication, réseau par lequel les messages permettant d’initier les paiements internationaux sont échangés) est considéré, à juste titre, comme l’un des fondements du système financier mondial car il regroupe plus que 11.000 banques et institutions financières répartis sur 200 pays, Mais peut-on le considérer, comme l’ont fait certains analystes aux Etats-Unis, comme l’équivalent financier de l’arme nucléaire ?

Selon l’experte en sanctions internationales Maria Shagina, basée à Helsinki, «l’impact de l’interdiction de Swift à la Russie pourrait être aussi dévastateur qu’il l’a été pour l’Iran, qui s’est vu refuser l’accès au système en 2012 en raison de son programme nucléaire. La Russie dépend fortement de Swift en raison de ses exportations d’hydrocarbures libellées en dollars américains. La coupure mettrait fin à toutes les transactions internationales, déclencherait la volatilité des devises et provoquerait des sorties massives de capitaux».

Cependant, et selon certains observateurs, la Russie va être contrainte, à court et moyen terme, à recourir au troc pour écouler ses énormes stocks d’hydrocarbures auprès des pays qui vont chercher tous les moyens possibles pour répondre à leurs besoins énergétiques. Et contourner ainsi le système Swift…

La carotte russe

Certes, la déconnexion de la Russie du système Swift aurait un impact sur le fonctionnement des banques russes, mais cette mesure mérite plus de précision et surtout de dédramatisation.

Primo, bien que le budget fédéral russe dépende largement des revenus et taxes générées par l’exportation de matières premières telles que le pétrole et le gaz, le secteur des hydrocarbures est délibérément exclu par l’Union européenne (UE) du champ d’application du bâton Swift en raison de l’étroite dépendance européenne du gaz russe.

Secundo, l’UE a procédé au débranchement de sept banques russes du système Swift, tout en épargnant cette sanction à deux gros établissements financiers, en l’occurrence Sberbank, la première du pays, et Gazprombank, bras financier du secteur des hydrocarbures, par lesquelles transitent la majeure partie des paiements des livraisons de gaz et pétrole russes à  l’UE.

Tertio, contrairement aux idées largement médiatisées, le Swift n’est pas un système de paiement, mais une plate-forme de communication, une interface automatisée de messagerie hautement sécurisée. A cet égard, Swift ne détient pas de fonds ou d’actifs financiers, ne gère pas des portefeuilles-clients et ne propose non plus des fonctions de compensation ou de règlement des transactions á l’instar du système de paiement européen Target II.

Quarto, plus de la moitié des organismes de crédit russes sont représentés dans Swift et la Russie est classée deuxième pays au monde pour le nombre d’utilisateurs de cette plate-forme, après les États-Unis, avec tout ce que cela implique en termes de manque à gagner pour l’ensemble du système.

Quinto, les banques visées par le bâton Swift pourront pourquivre leurs transactions avec des banques étrangères via d’autres moyens tels que les emails et fax, au prix d’une moindre sécurité et à un coût plus élevé des réglements effectués.

Sexto, pour se prémunir contre les impacts négatifs de l’exclusion de la Russie du système Swift, la Banque centrale russe a mis au point, depuis l’annexion de la Crimée en 2014, une alternative à Swift baptisée SPFS, et a développé des cartes de paiement Mir qui se veulent l’équivalent de Visa et Mastercard.

Le bâton Swift risque donc d’être inefficace, en tant que sanction censée obliger la Russie à arrêter les opérations militaires, et toxique pour le système Swift lui-même et ses utilisateurs à travers le monde. Wait and see !

* Spécialiste en réflexion stratégique.

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