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«Conflicts of interest» : L’ argent et la médecine, le couple terrible

Les relations entre les médecins et l’industrie médicale et pharmaceutique (Big Pharma) sont devenues intriquées et complexes à un point tel que le public s’inquiète désormais de savoir si les explorations et les traitements dont il bénéficie dans une situation de vulnérabilité répondent bien à une nécessité réelle en ne l’exposant pas à un danger inutile, et si pour obtenir son consentement il ne soit pas influencé pour des raisons autres qu’il ignore, dont d’autres que lui tireraient un bénéfice qui d’une certaine manière lui porterait préjudice.

Par Dr Mounir Hanablia *

C’est ainsi que les pouvoirs publics dans différentes parties du monde ont été amenés à légiférer afin d’obliger tous les intervenants dans le domaine médical à respecter des règles de transparence pour éclairer le malade dans son choix. Et naturellement les Etats-Unis d’Amérique est le pays où ce souci est le plus apparent, le plus constant, et où la loi est la plus contraignante, et pour différentes raisons qui ne sont pas toutes liées à l’intérêt et à la sécurité du patient.

Il y a certes eu le scandale du Vioxx, qui a démontré que les médecins américains pratiquaient une omerta professionnelle préjudiciable aux malades. Mais, il s’agit également de protéger les assurances-maladies contre des dépenses inutiles, et dans le pays de la libre entreprise de rationaliser les normes de la concurrence dans un cadre juridique bien défini.

Les médecins actionnaires des centres de soins

Ainsi il est fait obligation au professionnel de la santé d’informer le patient sur d’éventuelles prises de participation dans le secteur médical qui pourraient influencer son jugement. Et les lois anti-trust permettent aux assurances maladies de se déconventionner des centres médicaux dont les médecins actionnaires assurent plus de 40% du chiffre d’affaires. Des études ont en effet démontré que les dépenses médicales y étaient significativement plus élevées.

Le cadre juridique de la pratique médicale en Amérique est contraignant et les médecins ainsi que Big Pharma ont intérêt à s’y conformer le plus possible pour éviter des poursuites judiciaires coûteuses et dommageables.

Au Japon, un pays très conservateur sur le plan social, où le respect de la hiérarchie n’est pas un vain mot, le médecin dispose d’un grand prestige, et dispose toujours de première intention du bénéfice du doute. Cependant certaines règles s’imposent à lui, autres que celles du respect de l’éthique et de l’intégrité morale, particulièrement dans le cadre de la fonction publique. Ainsi il ne peut pas accepter de rémunérations ou de cadeaux dans l’exercice de ses fonctions, sous peine de se voir accuser de corruption. Un chef de service a ainsi été condamné au pénal pour ne pas s’être astreint au respect des normes de désintéressement et de probité, et dans ce pays cela avait constitué une première.

Les médecins et l’industrie pharmaceutique

Quant aux règles régissant l’activité privée libérale, ce sont les normes américaines qui s’imposent de plus en plus. En France, jusqu’au début des années 90, les plaintes contre les médecins étaient suffisamment rares pour ne pas être rapportées par les moyens d’information quand elles se produisaient, en général dans le cadre d’erreurs médicales.

Les relations entre les médecins et l’industrie étaient plutôt recouvertes par une chape de plomb, et les enquêtes sur le sujet n’aboutissent pas faute de la collaboration des intéressés, parfois au nom des nécessités du secret industriel ou commercial. Mais avec la mondialisation, les normes anglo-saxonnes ont commencé progressivement à s’imposer. Il est vrai que certaines affaires, comme le scandale du Médiator, ou bien les relations avec l’industrie du tabac, ont durablement terni la crédibilité médicale, et les règles de transparence, faisant obligation de faire état de liens avec l’industrie, ont commencé à être appliquées, mais sans les contraintes inhérentes au droit américain. Les médecins, particulièrement les experts, sont tenus de le faire, mais ils ne sont pas sanctionnés pour s’en abstenir. Et ils ne peuvent désormais bénéficier de prises en charge pour des congrès médicaux sans l’accord du Conseil de l’Ordre.

Les choses évoluent en France mais plutôt dans le sens de pousser les médecins à réformer leurs pratiques médicales eux-mêmes, les pouvoirs publics évitant de s’immiscer dans les affaires d’une corporation toujours prestigieuse, puissante et influente.

En Tunisie, les pratiques anti-concurrentielles foisonnent

Pour conclure, si les choses évoluent partout dans le monde, depuis plusieurs années, elles le font aussi en Tunisie, et c’est l’influence française qui demeure prépondérante, mais dans les limites de la collaboration des médecins, qui quoique secoués par plusieurs affaires, ont depuis la pandémie au Covid et grâce aux sacrifices consentis, recouvré une bonne part de leur prestige. Dans les congrès médicaux, l’intervenant mentionne désormais en règle générale l’absence de tout lien avec l’industrie, et il n’existe aucun contrôle ni aucune législation contraignante en la matière.

La corruption est certes explicitement interdite par la loi, mais uniquement dans le cadre de la fonction publique, et il n’ y a en l’occurrence pas d’antécédents de poursuites judiciaires contre des médecins hospitaliers pour cette raison. Et les normes anti trust n’existent pas. Cela confère évidemment à l’environnement professionnel un climat particulier, proto capitaliste, où les pratiques anti-concurrentielles foisonnent, parfois avec la collaboration de l’industrie médicale et des centres de médecine privée, et où la recherche du profit à tout prix constitue souvent le souci primordial. Dans l’immédiat, il n’y a pas de raisons pour que cela change.

* Médecin de libre pratique.

« Conflicts of Interest and the Future of Medicine: The United States, France, And Japan », essai de Marc A. Rodwin, en anglais, Oxford University Press, Etats-Unis, 1er septembre 2013, 394 pages.

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