Tunisie : Washington entre indulgence et impatience  

Les Etats-Unis, principal partenaire international de la Tunisie, ne semblent pas partager le sentiment d’urgence que le président Saïed accorde au référendum sur la nouvelle constitution. Le plus important, à leurs yeux, c’est la mise en place d’«un gouvernement démocratique qui réponde aux besoins du pays alors qu’il lutte contre les crises économiques et sanitaires». Vu de Washington, le chef d’Etat tunisien, plus messianique que pragmatique, se perd en conjectures juridico-religieuses, et fait perdre un temps précieux à son pays. (Illustration: Ned Price).

Par Ridha Kefi

La déclaration du porte-parole de la Maison Blanche Ned Price, faite le 25 juillet 2022, à l’occasion de la tenue, à Tunis, du référendum sur la nouvelle constitution proposée par le président de la république Kaïs Saïed, n’a pas eu l’écho qu’elle mérite dans l’opinion publique tunisienne, qui doit tenir compte des appréciations des principaux partenaires de son pays, dont le Etats-Unis.

Un gouvernement capable de répondre aux besoins urgents

 «Nous partageons l’objectif du peuple tunisien d’un gouvernement démocratique qui réponde aux besoins du pays alors qu’il lutte contre les crises économiques et sanitaires», a déclaré M. Price, laissant ainsi entendre que l’actuel gouvernement, dirigé par Najla Bouden, ne répond pas, selon Washington, aux exigences du moment.

Cette appréciation négative est confirmée un peu plus loin par M. Price qui poursuit : «Nous sommes préoccupés par le fait que les mesures transitoires se poursuivent sans fin claire. Le président Saïed devrait nommer un Premier ministre pour former un gouvernement capable de répondre à ces besoins urgents.»

Le porte-parole de la Maison blanche, qui évite visiblement de parler du référendum sur la nouvelle constitution dont son pays ne voit visiblement pas l’urgence ni même l’utilité, préfère interpeller le président Saïed sur la nécessité d’écourter la période des «mesures exceptionnelles», qui ont dépassé, hier, la durée d’une année : «Nous faisons écho aux appels du public tunisien pour que le président élabore un plan avec un calendrier clair pour un processus de réforme inclusif qui inclut la société civile et diverses voix politiques.»

Inclusion de la société civile dans le processus de réforme

Comme dans les précédentes déclarations des responsables américains sur la Tunisie, Ned Price continue d’insister sur l’inclusion de la société civile dans le processus de réforme, estimant que le point de vue de celle-ci – partis politiques compris – n’est pas suffisamment pris en compte par le président Saïed, ce qui affaiblit la position de la Tunisie dans ses négociations internationales, notamment avec les bailleurs de fonds pour de nouveaux prêts et de nouvelles aides dont elle a pourtant besoin pour sortir de la crise et relancer son économie en panne. Ce sont là des sujets qui ne semblent malheureusement pas retenir l’attention du président de la république, plus soucieux d’affermir son pouvoir personnel.  

Tout en évitant de s’exprimer sur le référendum en tant que tel et sur le projet de constitution proposé à l’approbation populaire, refusant d’«étiqueter ces événements», comme il dit, avec un dédain diplomatique qui n’échappe pas aux analystes, M. Price préfère «débattre de ce qu’il faut», et ce qu’il faut, selon lui, c’est la poursuite du «soutien critique à la Tunisie sur sa voie démocratique, et c’est ce sur quoi nous nous concentrons.»

Un autisme diplomatique suicidaire

En quelques mots, tout est dit, en termes diplomatiques mesurés : les initiatives politiques du président Saïed sont moyennement appréciées par Washington, qui ne s’encombre pas de considérations idéologiques et préfère juger les actions de ses partenaires à l’aune de leurs résultats concrets. Et à ce niveau, rien n’avance vraiment en Tunisie où le processus démocratique est bloqué, l’économie en panne et la relance espérée freinée par l’impression d’instabilité que dégage le pays.

Espérons que la portée amicale de ce message n’échappera pas à M. Saïed, qui a malheureusement tendance à ne prêter l’oreille qu’aux échos de sa propre voix et à voir dans tout «soutien critique», plutôt la critique que le soutien, lequel peut être mis en question à tout moment.

Jusque-là, la Maison blanche et le Département d’Etat n’ont pas voulu donner suite aux appels qui s’élèvent sous la coupole du Congrès pour arrêter toute aide américaine à la Tunisie, mais cette indulgence, qu’anime un souci de préserver les relations historiques entre les deux pays, ne saurait durer si Tunis persiste dans son autisme diplomatique suicidaire.

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