Les autorités tunisiennes promettent «transparence totale» vis-à-vis du FMI à propos de l’état d’avancement des réformes économiques envisagées. Il reste cependant à souhaiter qu’elles auront le même souci de transparence avec les Tunisiens, qui auront à supporter les conséquences des mesures d’austérité devant être prises dans le cadre de l’accord avec l’instance financière internationale. (Illustration : Samir Saïed).
Par Imed Bahri
La Tunisie n’a pas d’autre choix que de mettre en œuvre le plan de réforme économique que le gouvernement a présenté au Fonds monétaire international (FMI), sinon, c’est l’avenir de ses enfants qui sera hypothéqué», a déclaré le ministre de l’Economie et de la Planification, Samir Saied.
Tout en appréciant cette ferme détermination d’un membre du gouvernement qui avait fait partie de la délégation tunisienne ayant négocié l’accord en question, on peut tout de même se demander pourquoi ce plan de réforme, dont on connaît seulement les grandes lignes, tarde-t-il a être présenté, dans ses moindres détails, à l’opinion publique, car ce sont 12,5 millions de Tunisiens qui sont censés aider à sa mise en œuvre et, surtout aussi, à en subir les répercussions que l’ont qualifie souvent de «douloureuses».
Les engagements de qui ?
Ces réformes concernent, on le sait, la réduction de la masse salariale dans la fonction publique, la levée progressive des subventions des produits de première nécessité et l’assainissement et/ou cession (partielle ou totale) de certaines entreprises publiques opérant dans les secteurs concurrentiels. Mais elles n’ont rien de nouveau puisque le gouvernement tunisien s’était déjà engagé à les mettre en œuvre, dans le cadre de précédents accords de prêts avec le FMI, mais il n’y était pas parvenu pour diverses raisons, notamment le manque de volonté politique, le faible leadership politique et la forte résistance des syndicats d’un côté et des lobbys d’intérêt de l’autre.
Cela, le ministre Saïed l’a reconnu, en déclarant lors d’un séminaire organisé par la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (Conect) sur «l’internationalisation des petites et moyennes entreprises tunisiennes», mardi 1er novembre 2022, à Tunis : «Nous avons présenté un plan détaillé car nous avons perdu notre crédibilité auprès du fonds au cours des dernières années», ajoutant, avec détermination : «Cette fois-ci, nous nous engageons à l’exécuter».
Il reste cependant à se demander ce qui pourrait, cette fois, garantir cette «exécution», alors que toutes les raisons ayant empêché jusque-là la mise en œuvre desdites réformes sont toujours là et que le gouvernement en place ne semble pas plus compétent, mieux outillé, plus légitime ni même plus déterminé que ceux qui l’ont précédé à respecter ses engagements. Qu’est-ce qui nous garantit qu’il ne cédera face aux obstacles qui ne manqueront pas d’apparaître sur son chemin au fil des semaines et dont on commence à observer les signes avant-coureurs (grèves générales, paralysies de secteurs entiers de l’économie, blocages politiques…) ?
Un besoin de cohérence
Certes, cette fois-ci, le FMI a pris des précautions et s’est ménagé un moyen de pression sur le gouvernement tunisien. Le prêt convenu avec l’instance financière internationale, d’un montant de 1,9 milliard de dollars et d’une durée de 48 mois, sera en effet accordé sur plusieurs tranches, dont le déblocage sera tributaire du degré d’avancement desdites réformes.On imagine que la surveillance sera plus stricte et plus ferme que par le passé et que la marge de tergiversation du gouvernement sera des plus réduites. Ce qui, d’ailleurs, fait dire au ministre que «le déblocage des fonds par tranche va garantir l’exécution des réformes» et que le gouvernement fera preuve de «transparence totale» avec ses créanciers.
A ces mots, on imagine aussi les griefs exprimés par les experts du FMI sur la mauvaise gouvernance des précédents accords par les responsables tunisiens et les engagements fermes pris par ces derniers pour obtenir le nouvel accord de prêt.
Il reste cependant à souhaiter que les autorités feront également preuve de «transparence totale» avec les Tunisiens, qui auront à supporter les conséquences des mesures d’austérité devant être prises dans le cadre de cet accord. Car c’est de l’engagement des Tunisiens – et non des gouvernements qui se succèdent et se ressemblent – que dépendra, en dernière instance, le succès des réformes envisagées. Et cet engagement collectif ne saurait être obtenu sans une communication adéquate de la part des autorités, à commencer par le président de la république Kaïs Saïed, qui doit cesser de tenir des discours clivants, de diviser les citoyens et de les opposer les uns aux autres. Il doit aussi exprimer clairement son approbation des réformes et des mesures impopulaires qu’elles vont nécessiter, et non continuer à bercer les Tunisiens d’illusions comme il nous a habitués jusque-là, tout en laissant les membres du gouvernement se démener pour faire accepter des politiques d’austérité dont on sait qu’il ont son aval, même s’il fait souvent semblant de s’en désolidariser. Par son incohérence même, une telle politique, qui a déjà fait beaucoup de mal au pays, aboutirait à coup sûr à l’échec des réformes envisagées et provoquerait, à terme, un tel malentendu politique et un tel tollé dans l’opinion, que le régime risquerait d’y laisser des plumes.
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