Quelle agriculture «verte» pour la Tunisie ?

Le ministre l’Economie et de la Planification, Samir Saïed, a cité l’agriculture «verte» parmi les objectifs prioritaires du Plan de développement 2023-2025, présenté à Tunis le 3 janvier 2022. A ce sujet, nous avons examiné le « Nouveau deal vert agricole Tunisien » de l’Observatoire de la souveraineté alimentaire et de l’environnement (OSAE), dont nous retracerons les principaux arguments.

Par Amina Mkada

L’OSAE a réagi au dérèglement climatique et ses conséquences néfastes sur le secteur agricole en Tunisie, en se focalisant sur un projet agricole alternatif qu’est le « Nouveau deal vert agricole tunisien« . Ce document, publié en 2020, prône également une souveraineté alimentaire réelle, une justice environnementale et climatique, et la dignité des personnes.

Nous reprenons ici des grands pans de ce « Deal « , qui semble bien répertorier les maux de l’agriculture tunisienne, et suggère des propositions concrètes de son amélioration, telles que constatées également dans plusieurs sources.

Passant en revue l’actuel état des lieux, OSAE pointe un doigt accusateur sur l’évolution de la situation alimentaire du pays et la menace qui pèse sur elle dans un avenir proche et plus lointain.

Une Tunisie fragile et dépendante

Deux facteurs sont mis en exergue, à savoir le principe de la sécurité alimentaire basée sur le concept des avantages comparatifs, qui a montré ses limites et ses risques.

En effet, l’agriculture tunisienne s’est toujours basée sur la culture des produits hors saison destinés à l’export, mais aussi sur ceux que les pays acheteurs ne cultivent pas. Ceci en contrepartie de l’importation nécessaire des produits alimentaires de base comme les céréales. Ce qui, comme d’autres pays, a rendu la Tunisie fragile et directement dépendante d’un marché agricole et alimentaire mondial, sans presqu’aucun moyen d’influence, sans mécanismes propre à elle de «protection», ni de possibilité d’en éviter les crises alimentaires.

Un autre facteur est celui de la dangereuse exposition de ces agricultures «aux risques considérables des dérèglements climatiques de plus en plus accélérés, et dont on voit déjà les dimensions (successions dramatiques de phénomènes météorologiques jusqu’ici rares ou inconnues)». A ce sujet, le grand sud tunisien est particulièrement exposé aux pires conséquences de ces changements, constate OASE.

L’impact de cette situation sur la production agricole et alimentaire, mais aussi sur les modes d’organisations sociales chez les pays «dépendants» et nettement visible et inquiétant : ceux qui tentent d’émigrer vers l’Europe sont en grande partie «des réfugiés climatiques dépossédés de leurs droits d’accès aux ressources naturelles et à une alimentation saine et suffisante».

Parallèlement, on constate la participation massive de l’agriculture industrielle et d’extraction au dérèglement climatique, dont l’origine est la production de dioxyde de carbone. D’où intensification car plus l’agriculture est intensive et mécanisée, plus son émission de carbone est élevée.

Ce même dérèglement s’est aussi nourri de l’élevage intensif dans les régions arides du sud tunisien et partout dans le monde, directement responsable d’environ 20% de la production mondiale de dioxyde de carbone.

Par conséquent, quelle stratégie adopter ?

Un changement radical de direction et de système de production agricole s’impose, vers une agriculture qui doit se concentrer sur 2 objectifs vitaux.

Avant tout, produire pour nourrir toute la population, d’où la responsabilité du producteur et du consommateur, de la protection de l’environnement, de la biodiversité et de la planète.

Un autre objectif consiste à produire d’une manière responsable, en réduisant massivement et rapidement la production de dioxyde de carbone, et en protégeant la biodiversité.

Plusieurs initiatives et propositions ont déjà été faites, telles que les expériences de permaculture et de productions «organiques» ou biologiques, mais elles restent insuffisantes devant les énormes effets du changement climatique.

«Plus que des retouches et des corrections», l’agriculture doit être totalement redéfinie et réorientée différemment en matière de semences et variétés locales, de politiques de l’eau dont celle de l’irrigation, d’export et d’import, d’investissement, de mécanisation, d’élevage, et de foncier.

A ce sujet, la réforme proposée est de fixer un plafond maximum et un seuil minimum de la propriété foncière, afin d’éviter les risques de «concentration d’un côté et l’émiettement de l’autre».

De même, la politique hydraulique doit radicalement changer et limiter l’irrigation, à des cultures alimentaires de saison.

Ces recommandations doivent être accompagnées par des propositions convergentes comme l’énergie, l’industrie, l’urbanisme, le transport, etc.

En somme, l’objectif final de ce «Nouveau deal vert agricole tunisien» repose sur la «décarbonation» de la production agricole, d’où l’adjectif d’agriculture «verte» que cela inspire.

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