La série de coups d’Etat que la Syrie a connue entre 1949 et 1969 ont tous fini dans un bain de sang. La soif de pouvoir y était souvent desservie par un amateurisme suicidaire et les convictions idéologiques sacrifiées sur l’autel des calculs personnels et des considérations communautaires. Un témoin privilégié de cette époque lève le rideau sur cette tragi-comédie qui a ensanglanté la Syrie au milieu du siècle dernier… (Photo : Hafez El-Assad a clos le feuilleton tragi-comique des coups d’Etat militaires).
Par Dr Mounir Hanablia *
Qui était vraiment Mohammed Maarouf? Un officier syrien de confession alaouite, témoin, acteur, mais aussi victime de coups d’État qui ont secoué son pays entre 1949 et 1969. Fut-il aussi un agent du Royaume Hachémite Irakien? Il reconnaît en avoir été matériellement aidé après avoir été exilé par Adib Chichakli à Beyrouth en 1950; tout comme il reconnaît en 1956 avoir préparé un coup d’État par le biais du Parti National Social Syrien en livrant des armes (parfois inutilisables) financées par les Irakiens.
Par-delà sa lecture, deux figures se distinguent par leur machiavélisme : Akram El Hourani, le politicien de Hama, chef du Parti Socialiste qui allait fusionner avec le Baath, «en faveur de tous les complots, dans tous les complots, et contre tous les complots», et Abdelhamid Serraj, le chef du deuxième bureau de renseignement militaire qui devint l’âme damnée du président Nasser en Egypte et d’Abdelhakim Ameur en Syrie lors de l’avènement de la République Arabe Unie, entre 1958 et 1961.
Pour un oui, pour un non !
Tous les chefs issus des coups d’État, Hosni Zaïm, Sami El Hennaoui, et Adib Chichakli, finirent de mort violente après avoir été chassés du pouvoir, parfois victimes de vendettas. Des officiers, tels que Ghassen Jedid, réfugié à Beyrouth, ou Adnane El Malki, qui assistait à une rencontre sportive au stade de Damas, furent assassinés.
Des motivations personnelles animèrent souvent les conjurés, en règle des militaires prétendant lutter contre la corruption et rétablir la démocratie, parfois soutenus par des civils, et il suffisait parfois d’une mutation, d’un transfert, ou d’un accrochage verbal, pour provoquer une rancune tenace conduisant à la participation au premier complot venu.
L’amateurisme des conjurés, se réunissant dans les cafés, les restaurants, ou dans leurs lieux de résidence, et souvent en état d’ébriété, faisait que le secret n’était jamais gardé longtemps, mais fait étonnant, les régimes en place n’y accordaient que rarement crédit. Pouvaient-ils d’ailleurs le faire?
En tant que chef de la police militaire, Mohammed Maarouf eut l’opportunité d’entrer en possession de documents secrets de la mission britannique qu’il dut restituer sans les avoir déchiffrés, ni même filmés.
L’esprit de corps de l’armée, si on peut appeler ainsi son mépris de toute autorité civile, empêchait généralement les mesures de sécurité appropriées, et ceux dont la participation à un complot était prouvée étaient soit mutés, soit renvoyés, soit nommés à des postes lointains, rarement arrêtés.
De nombreux officiers issus des minorités pauvres, souvent alaouite, avaient été recrutés en passant des concours organisés sous la supervision de l’armée et d’officiers français, et quelques-uns avaient même fait l’école de guerre de Saint-Cyr, d’autres étaient issus de l’armée ottomane.
Une ambiance surréaliste
Comme toutes les armées coloniales, les minorités y jouèrent un rôle important. L’armée syrienne ne fut donc finalement que le résultat de deux politiques coloniales, ottomane et française, celles du communautarisme. A l’indépendance, on peut considérer qu’elle s’en est retrouvée orpheline. Le loyalisme envers le nouvel Etat syrien ne constituait ainsi pas sa vertu cardinale. Il semble que les relations personnelles y eussent tenu une importance fondamentale, expliquant la facilité avec laquelle les clans et les coteries se faisaient et se défaisaient. Sa performance sur le terrain, durant la guerre en Palestine, a traduit ces réalités, celles d’une organisation s’apparentant plus à des milices où la fidélité aux officiers faisait office de ciment, qu’à une force combattante régulière sous l’autorité de l’Etat.
Dans tout cela, la situation géostratégique de la Syrie était inconfortable, entre Israël, les Hachémites d’Irak et de Jordanie, l’Egypte, et l’Arabie Saoudite. Mais le fameux Nouri Saïd, surnommé le Pacha, quoique faisant toujours mine de poursuivre la politique de l’Union hachémite, agissait en réalité en phase avec les Britanniques et souvent contre la volonté de son souverain. Il repoussa la proposition d’union de l’envoyé de Nasser, qui prétendait que l’Egypte produisait les armes nécessaires à la défense de l’Irak, et se montra ironique en rétorquant qu’il s’agissait de choses importantes et non pas d’une conversation de café.
Nouri Saïd finit lynché par la foule à Bagdad, tout comme le roi Fayçal II et le prince Abdel Ilah, lors du coup d’État de Abdelkarim Kassem de 1958.
C’est donc dans cette ambiance surréaliste expliquant les échecs répétés des pays arabes dans toutes leurs tentatives d’union, tout comme dans les guerres menées pour libérer la Palestine, que nous plonge l’auteur, qui après avoir utilisé ses stagiaires palestiniens dans le coup d’Etat auquel il participa, puis épousé une jeune palestinienne, fut un jour invité à la Maison Blanche par le président Carter avec son épouse anglophone sur intercession d’une de ses connaissances, un milliardaire arménien. Quand on a les amis qu’il faut !
On saura gré à l’auteur d’avoir évité d’aborder l’épineuse question confessionnelle, mais la lutte pour le pouvoir et l’ère des coups d’Etats finirent, avec l’arrivée au pouvoir de la minorité religieuse alaouite qui dominait l’armée. C’est peut être là la raison pour laquelle l’auteur a rendu hommage à Hafez El Assad et à son fils (!!!).
La Syrie démocrate? Avec Aflak et Hourani en embuscade, avec une armée en butte à des luttes de clans, elle ne serait de toutes les manières pas allée bien loin !
* Médecin de libre pratique.
‘‘Jours que j’ai vécus (1949-1969) : Les coups d’Etat et leurs secrets en Syrie’’ de Mohammed Maatouf, en arabe, éd. Riyad El-Rayyes Books, Beyrouth, 2003.
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