La Tunisie peut accueillir 15 millions de touristes par an

Le secteur touristique tunisien, grand pourvoyeur de devises et de main d’œuvre, doit impérativement devenir rentable. Ce qu’il n’est pas actuellement, en comparant ses recettes avec celles de ses concurrents directs au sud de la Méditerranée et avec les aides et avantages énormes accordés par l’Etat aux opérateurs du secteur.

Par Habib Glenza *

Le développement du tourisme tunisien remonte aux années 60, grâce au soutien de l’Etat, des banques de développement (BDET, BNDT, etc.) et des groupes privés qui ont commencé à se constituer. Le secteur a connu durant 4 décennies (1970 à 2010) une forte expansion faisant de notre pays une importante destination de vacances au sud de la Méditerranée.

Les maux

A partir de 2011, le secteur traverse une période d’essoufflement et de crises due à l’inadaptation du produit face à une concurrence de plus en plus acharnée des pays du bassin méditerranéen. Cet essoufflement est du à des facteurs directes et indirectes, qui ont freiné le développement du secteur, et qui sont : 

– les diktats des tours opérateurs (TO) étrangers opérant en Tunisie imposant au fil des ans un tourisme bas de gamme et bon marché; 

– les attentats au musée du Bardo, dans un hôtel à Sousse, et la synagogue de Djerba où sont décédés de nombreux touristes;

– la faillite du voyagiste anglais Thomas Cook ayant entraîné une perte énorme de 60 millions de dinars, portant préjudice à 40 hôtels et aux caisses de l’Etat tunisien;

– le bradage des prix qui a conduit à la dégradation de la qualité des services hôteliers;

– la formule d’hébergement en all inclusive qui a transformé les hôtels en simple dortoirs ce qui n’a pas incité les touristes à sortir de leurs enclaves pour découvrir le pays (le président Kaïs Saïed l’a lui-même relevé en recevant il y a quelques mois le ministre du Tourisme); 

– et, last but not least, la mauvaise gouvernance et l’absence de stratégie à court et à moyen terme pour relancer un secteur où l’on ne compte plus le nombre d’établissement en faillite ou en difficulté, et qui menacent de mettre la clé sous le paillasson.

Tous ces facteurs ont freiné le développement du tourisme tunisien à telle enseigne que les recettes nominales en devises en 2023 sont en retrait de 22% par rapport à celles de 2007, 2008, 2009 et 2010! Pire encore, les recettes de 2019 et 2020  ne couvrent «que» 18% du déficit de la balance commerciale tunisienne, alors que celles des années 2007, 2008, 2009 et 2010 couvraient en moyenne 55% du déficit en question! Aussi parler de relance du secteur, comme le font depuis un certain temps les responsables du gouvernement en se basant sur des chiffres manipulés, est-il une vue de l’esprit sinon une grave tromperie, ces derniers ne trompant finalement qu’eux-mêmes en s’aveuglant ainsi délibérément.

Avec la même capacité d’hébergement que la Tunisie (250 000 lits), le Maroc, notre concurrent direct au sud de la Méditerranée, a accueilli 13,8 millions de touristes, contre «seulement» 9 millions de visiteurs pour la Tunisie, et encaissé 8 000 millions d’euros, contre «seulement» 2 000 millions d’euros pour la Tunisie, chiffre qualifié d’«exceptionnel» par Aymen Rahmani, directeur des études et de la coopération à l’Office national du tourisme tunisien.

Le Maroc a réalisé de meilleures performances grâce à une meilleure gouvernance, et en dépit du séisme qui a ravagé cette année une partie de ce pays voisin.

Pour ne pas être traités d’oiseau de mauvais augure ou de rabat-joie, qu’on nous permette de présenter ci-dessous les facteurs qui, selon nous, peuvent propulser le secteur touristique tunisien et le sortir de sa béate et paralysante autosatisfaction.

Les remèdes

Les responsables du secteur seraient bien inspirés :

– d’élaborer une stratégie pertinente visant à relever le taux annuel moyen de remplissage de la capacité d’hébergement (250 000 lits) qui reste encore très faible (50%), ce qui veut dire que 125 000 lits restent inoccupés toute l’année, en particulier en basse saison (20%) et en moyenne saison (5%). Pourquoi ne pas accorder aux citoyens tunisiens en Tunisie ou à l’étranger des tarifs promotionnels en basse et moyenne saisons, afin que tout le monde soit gagnant ? Pourquoi faut-il que les tunisiens s’endettent pour passer une ou deux journées à l’hôtel alors que 125 000 lits restent inoccupés en permanence?;    

– de lutter efficacement contre le bradage des prix et la formule all inclusive qui convient aux TO mais dessert la destination, qui se voit ainsi dévalorisée et boudée par les touristes haut de gamme;

– d’empêcher les diktats des TO étranger qui veulent s’enrichir aux dépens de l’intérêt national;

– d’instaurer une saine gouvernance en imposant des règles strictes de gestion aux opérateurs afin d’assurer le développement et la pérennité du secteur; 

– élaborer un programme de soutien aux hôtels en difficulté et les réinsérer dans la dynamique d’attraction de la destination;  

– de créer une commission de suivi pour évaluer le degré de réalisation des objectifs de la stratégie de relance et apporter les correctifs nécessaires;

– et, last but not least, mettre fin à la manie qu’ont les responsables et les opérateurs du secteur de lancer des cocoricos et de se féliciter de faux succès

Le secteur touristique tunisien, grand pourvoyeur de devises et de main d’œuvre, doit impérativement devenir rentable. L’Etat tunisien qui a investi une fortune s’attend à un «retour d’ascenseur»pour faire face à une économie précaire et pour éviter le diktat du FMI et des puissances étrangères. Il faut rappeler que des banques de développement touristique comme la BNDT et la BDET ont fait faillite en soutenant le secteur touristique tunisien. Et les dettes non honorées des hôteliers grèvent toujours les comptes des banques.

Les acteurs du tourisme doivent prendre exemple des Tunisiens résidents à l’étranger (TRE) dont les envois en devises ont représenté 100% de la dette extérieure du pays en 2022 et 65% en 2023. D’ailleurs, leurs envois ont dépassé les recettes touristiques nominales en devises en 2023. Et cette tendance va sans doute se poursuivre au cours des années à venir.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.