‘‘L’Amour ouf’’, le nouveau film de Gilles Lellouche dont tout le monde parle, mérite d’être vu. C’est un bon moment de cinéma. Pourtant, il reprend les codes classiques de la comédie romantique.
Mohamed Sadok Lejri
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L’histoire du film, archi-rebattue au cinéma, peut susciter en nous quelques doutes au premier abord. C’est l’histoire de deux adolescents qui tombent éperdument amoureux l’un de l’autre. Clotaire, un bad boy oisif, qui s’adonne à la petite délinquance avant de s’introduire petit à petit dans le monde du crime, gagne le cœur de Jacqueline, une lycéenne d’un niveau social un peu plus élevé, orpheline de mère et élevée par un père aimant; c’est une fille studieuse, mais au caractère bien trempé et à la verve mordante.
‘‘L’Amour ouf’’ est un film vivant, très généreux, empli de passion et qui transpire l’amour que porte le réalisateur – et ceux qui ont contribué de façon créatrice et significative à la réalisation de ce film – pour le cinéma. Il est visuellement très intéressant. En effet, la recherche esthétique y est très travaillée et constante, la photographie y est particulièrement impressionnante; on a l’impression que le réalisateur essaie de rendre chaque plan du film inoubliable.
Atmosphère très années 1980-1990
La reconstitution des années 1980 et 1990 et délicieusement réussie à travers la pellicule qui respire ces années-là par tous ses pores, et plus précisément à travers la chorégraphie amoureuse, onirique et magnifique, qui symbolise la pureté et l’innocence de l’amour de Clotaire et Jacqueline, sur la chanson ‘‘A forest’’ des Cure. Il y a aussi la journée d’école buissonnière rythmée par ‘‘Eyes without a face de Billy Idol, mais aussi la version originale de ‘‘Nothing Compares 2 𝑈 ’’de Prince, une chanson scrupuleusement enregistrée par Clotaire dans une cassette audio pour sa bien-aimée. Bref, la superbe bande-son enveloppe l’intrigue d’une atmosphère très années 1980-1990, donc d’une sorte de nostalgie à laquelle bon nombre de quadragénaires et quinquagénaires se sentiront profondément attachés.
Par-delà la réalisation très soignée, la restitution de l’atmosphère des années 1980 et 1990 qui est indéniablement réussie et la virtuosité de la mise en scène, ce long-métrage survolté est servi par un casting de haute volée. Les quatre acteurs qui interprètent Clotaire et Jacqueline ont mis beaucoup d’intensité dans leur jeu, sans jamais verser dans le surjeu.
Dans la deuxième partie du film, faisant montre du remarquable talent qui leur est reconnu à raison et d’une prestation qui révèle beaucoup d’expérience et de professionnalisme, François Civil et Adèle Exarchopoulos étaient dans le ton juste d’un plan à l’autre.
Les jeunes acteurs qui ont incarné les personnages de Clotaire et Jacqueline dans leur adolescence, en l’occurrence Malik Frikah et Mallory Wanecque, sont époustouflants; ils ont crevé l’écran. Il me semble qu’il serait de bon aloi d’affirmer que ces deux jeunes révélations ont fini par faire de l’ombre aux deux vedettes françaises suscitées. D’aucuns estimeront que les jeunes versions sont meilleures que celles de leurs aînés. Quoi qu’il en soit, une mention spéciale mérite d’être accordée à Malik Frikah, un acteur de moins de 20 ans, et dont la performance est tout bonnement stupéfiante, aussi bien dans les moments durs du film que dans les scènes idylliques.
En outre, ce qui fait sans conteste la force de ce film, ce sont les rôles secondaires. Les plus touchants restent, sans l’ombre d’un doute, Élodie Bouchez et Alain Chabat, parfaits dans leur rôle de parents aimants et inquiets. J’ai toujours trouvé Alain Chabat imbuvable, antipathique, mais, dans ce film, il s’en sort admirablement bien, d’autant plus que son rôle exige une sensibilité particulière puisqu’il campe le personnage d’un veuf qui élève seul sa fille. Même dépassé par les événements, il tente d’offrir à Jacqueline la meilleure éducation et de la protéger contre vents et marées. Alain Chabat démontre, dans ce film, qu’il est capable d’endosser des rôles plus graves, plus dramatiques que son répertoire comique habituel.
Une véritable ode à l’amour
D’autres acteurs ont également offert une performance intense, captivante, avec des émotions communicatives. C’est le cas de Vincent Lacoste, un acteur auquel je n’accordais aucune importance et qui joue un rôle à contre-emploi : celui d’un cadre plutôt arrogant, habitué à une existence bourgeoisement rangée et qui est épris de son épouse. On appréciera la métamorphose du personnage de Jeffrey à la fin du film, mû par un sentiment de jalousie et de dépit bien naturel dans sa situation. La performance de Vincent Lacoste ne nous laisse pas insensible ; c’est l’une des meilleures du film. D’autres acteurs ont réalisé une performance respectable en jouant les seconds rôles en peu en retrait. Karim Leklou, l’acteur qui joue le rôle du père de Clotaire dans la première partie du film, un père prolo un peu brutal, et Benoît Poelvoorde, alias La Brosse, chef d’un groupe de braqueurs, n’ont pas du tout démérité.
Cependant, le film pèche par la pauvreté de ses dialogues, les clichés qu’il véhicule, quelques incohérences et un scénario qui manque de relief. Les maladresses s’accumulent dans la deuxième partie du film. La fin, quant à elle, est peu crédible et laisse à désirer. En effet, elle semble bâclée et expédiée à l’emporte-pièce, comme si le réalisateur et son équipe de scénaristes étaient à bout de souffle. La fin altère la qualité de l’œuvre, hélas ! Gilles Lellouche et son équipe auraient pu donner le clap de la fin après la scène de la cabine téléphonique car les vingt dernières minutes manquaient de consistance, de réalisme et de profondeur.
‘‘L’Amour Ouf’’ n’est pas un pur chef-d’œuvre, certes, il n’en reste pas moins que c’est une véritable ode à l’amour, notamment au premier. C’est une fresque française, une épopée amoureuse sur fond de violence. Il faut dire que ce film marie admirablement bien la comédie romantique et la violence effrénée qui n’est autre chose que la violence de la vie. En fait, c’est un maelstrom lyrique d’amour, de violence et de nostalgie. ‘‘L’Amour Ouf’’ est l’histoire d’un amour viscéral qui dépasse les classes sociales, mais aussi les frontières du temps et de l’espace.
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