Être une minorité au Moyen-Orient et assurer sa pérennité, voilà une équation des plus difficiles. Cette région du monde toujours agitée et en proie aux bouleversements géopolitiques n’est pas le meilleur endroit pour que les minorités vivent paisiblement et sans être inquiétées. Elles payent souvent le prix des vicissitudes de l’Histoire. Toutefois, les Druzes connus pour leur résilience, leur instinct de survie et dotés d’une intelligence de situation rare ont toujours su s’adapter. Aujourd’hui, en Syrie, ils font face à un pouvoir islamiste dont ils se méfient beaucoup. Ils ne l’ont pas définitivement rejeté mais leur soutien tarde à venir. Ils entretiennent également un rapport ambigu avec Israël qui ne laisse personne indifférent. (Ph. Les Druzes, une minorité active, entre loyauté et méfiance).
Imed Bahri
Le magazine The Economist a publié une enquête sur les Druzes de Syrie et leur rapport avec le nouveau régime de Damas, en mettant l’accent d’emblée sur le fait que les Druzes sont certes une minorité mais ils ont une influence dans la région du Levant qui dépasse leur taille.
«Si le paysage de basalte noir ne donne pas une idée directe du caractère unique de Soueïda (fief des Druzes en Syrie, Ndlr), les drapeaux colorés de la communauté qui flottent partout la donnent», constate le magazine britannique.
La spécificité de la communauté ne se limite pas au paysage, elle s’étend à ses caractéristiques. Et The Economist rappelle que les Druzes se sont toujours distingués par leur ouverture et leur pragmatisme en politique. Ils ont tendance à collaborer avec les pouvoirs en place ce qui leur confère une influence disproportionnée par rapport à leur nombre.
Un pied dans chaque camp
Dans la région de Galilée, les soldats druzes combattent aux côtés de l’armée israélienne dans la guerre contre Gaza et ou celle du sud du Liban.
En même temps, les principales factions politiques druzes libanaises ont soutenu le Hezbollah dans sa confrontation avec l’État hébreu.
En Syrie, les officiers druzes faisaient partie de l’État policier sous Hafez Al-Assad puis sous son fils Bachar.
Au cours des premières années de la guerre civile syrienne, les groupes armées druzes ont soutenu le régime. À mesure que leur emprise s’affaiblissait, ils ont changé de position et des manifestations ont éclaté à Soueïda.
Aujourd’hui, les Druzes de Syrie, qui vivent le long des frontières avec Israël et la Jordanie, se retrouvent pris entre un gouvernement à tendance islamiste dont ils se méfient et l’agression croissante d’Israël contre la Syrie.
The Economist explique que les Druzes demeurent prudents à cause d’un massacre commis en 2015 par Jabhat al-Nosra, une branche d’Al-Qaïda devenue par la suite Hay’at Tahrir al-Sham, le groupe djihadiste dirigé par Ahmed Al-Charaa. Ce massacre a coûté la vie à 20 Druzes. Dans une interview accordée à Al Jazeera datant de la même époque, Al-Charaa a déclaré que les Druzes devraient se convertir à l’islam. Ils n’ont oublié ni le massacre ni cette phrase. C’est de là que vient la défiance vis-à-vis du nouvel homme fort de la Syrie.
Leurs chefs religieux, en l’occurrence trois cheikhs de Soueïda, ont rejeté la déclaration constitutionnelle dévoilée par Al-Charaa le mois dernier, la jugeant trop islamiste et non représentative. En mars, l’un des trois, le cheikh Hikmat al-Hajari, a qualifié l’administration d’Al-Charaa de «gouvernement extrémiste dans tous les sens du terme».
Pendant ce temps, Israël surveille la minorité druze. Le mois dernier, des dizaines de villageois druzes ont traversé la frontière depuis la Syrie vers les hauteurs du Golan occupées par Israël, sous la supervision de l’armée israélienne, pour visiter un célèbre sanctuaire druze, avec l’autorisation et la protection de l’armée israélienne. En février, lorsque des combats ont éclaté entre les milices druzes et les forces gouvernementales à Jaramana, une banlieue à majorité druze de Damas, le ministre israélien de la Défense Israël Katz a menacé d’intervenir. Il a également laissé entendre qu’il pourrait autoriser les Druzes syriens à entrer sur le plateau du Golan occupé par Israël pour travailler.
D’autre part, le Conseil militaire de Soueïda a fait preuve de pragmatisme, son chef Tariq al-Shoufi déclarant qu’il ne s’opposait pas au soutien israélien. Il a ajouté que les combattants druzes, sceptiques à l’égard des nouveaux dirigeants syriens, se préparent et organisent leurs rangs en prévision de toute confrontation avec eux.
Une lourde tutelle israélienne
Toutefois, un homme d’affaires druze a averti qu’Israël se tromperait s’il interprétait le manque de confiance dans le nouveau pouvoir d’Al-Charaa comme un soutien druze à l’occupation israélienne ou à une intervention militaire en Syrie.
Également, certaines milices druzes ont exprimé leur volonté de rejoindre l’armée syrienne. Le magazine affirme que les cheikhs influents de Soueida ont une vision claire d’Israël. «Israël veut montrer que nous sommes sous sa protection», explique cheïkh Youssef Al-Jarbou, l’un des trois principaux chefs spirituels de la communauté avant d’ajouter: «Ils veulent nous dépouiller de notre identité. Nous n’avons jamais accepté la tutelle de qui que ce soit sur nous. Nous sommes fidèles au pays dans lequel nous vivons».
Walid Joumblatt, principal leader druze au Liban dont le père a été assassiné par la famille Assad, a averti que le rapprochement avec Israël entraînerait un désastre pour les Druzes de Syrie. Cependant, son avis ne fait pas l’unanimité. L’ancien ministre de l’Environnement libanais Wiam Wahhab, issu de la communauté, considère que les Druzes syriens luttent pour leur survie et n’ont aucune leçon à recevoir.
Il faut rappeler que Joumblatt s’est précipité pour soutenir Al-Charaa après la chute de Damas et est allé le rencontrer dès ses premières semaines au pouvoir. Il avait déclaré: «Ceux qui soutiennent Israël vont à contre-courant de l’histoire. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous aliéner les musulmans».
Joumblatt, aussi influent soit-il au Liban, n’a pas pu infléchir la position de ses coreligionnaires syriens qui, avant la cause palestinienne, semblent aujourd’hui prioriser leur propre sécurité et la pérennité de leur communauté afin d’éviter le sort macabre subi par les Alaouites sur la côte syrienne.
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