L’argent est le nerf de la guerre, ce célèbre adage ne trouvera jamais de meilleure illustration qu’en Libye. À chaque poussée de fièvre entre les différentes factions, en essayant de comprendre les tenants et les aboutissants, on finit toujours par déceler des histoires d’argent. Le fric, toujours le fric. Pour se maintenir au pouvoir sans légitimité populaire, Abdelhamid Dbeibah, qui ne devait être qu’un chef de gouvernement intérimaire, a arrosé pendant des années les différentes milices de grosses sommes d’argent mais en essayant ces derniers temps de revoir à la baisse les largesses habituelles, la situation s’est dégradée.
Imed Bahri
Pour ne rien arranger, l’assassinat du puissant milicien Gheniwa, de son vrai nom Abdelghani Al-Kikli, qui a été attribuée aux hommes de Dbeibah, n’a fait que pourrir davantage cette situation.
Le magazine The Economist a publié une enquête sur la situation en Libye qui s’est détériorée ce mois-ci. Tripoli s’apprêtait à accueillir Libya Build, prévu comme le grand rendez-vous régional du BTP, quand tout a dégénéré. Des hommes d’affaires de différents pays, notamment de Chine, de Turquie et de Malte, étaient venus pour assister à l’événement mais à leur arrivée, le 12 mai, les obus de mortier ont commencé à tomber tandis que des hommes armés dans des camions équipés de mitrailleuses lourdes ont ouvert le feu et ont pris le contrôle de la moitié de la capitale. Le timing était tout sauf anodin.
Des voitures incendiées jonchaient les rues, les écoles, les marchés, les banques étaient fermées et des hommes armés ont pris d’assaut la banque centrale. Quelqu’un a volé un cerf au zoo de Tripoli. Le chaos.
La Grande-Bretagne a discrètement modifié ses conseils de voyage qu’elle avait assouplis il y a un mois mettant en garde contre tout voyage à Tripoli et incitant les navires amarrés au port à partir. La Turquie, principal allié du gouvernement, a transporté ses citoyens par avion vers des lieux sûrs.
Le statu quo vole en éclats
Le magazine britannique a indiqué que les efforts à Tripoli pour rétablir l’ordre sont de nouveau mises à mal. Le statu quo entre le gouvernement internationalement reconnu à l’Ouest, dirigé par Abdelhamid Dbeibah, et Khalifa Haftar, l’homme fort qui dirige l’Est avec ses fils, a volé en éclats. Le conflit latent a dégénéré en une violence jamais vue en Libye depuis cinq ans.
Malgré sa reconnaissance internationale, Dbeibah a toujours été le plus faible. Contrairement à Haftar, l’autorité de Dbeibah repose sur une alliance instable de plusieurs milices. Quand les relations sont devenues de plus en plus agitées, il défia les milices obtenant un certain succès initial mais le cœur du conflit tournait autour de l’argent. Le magazine affirme que Debeibah et sa famille ont vidé le trésor d’un pays qui aurait dû être l’un des plus riches d’Afrique.
Lorsque les fonds qu’il versait aux milices diminuèrent, celles-ci devinrent de plus en plus rebelles et cherchèrent des sources de soutien alternatives, comme l’enlèvement des dirigeants de grandes entreprises et leur prise en otage. D’après The Economist, lorsque Dbeibah craignit que son règne ne soit menacé, Gheniwa de son vrai nom Abelghani Al-Kikli, puissant chef de milice qui commande le Dispositif de soutien à la stabilité (DDS), a été convié à une réunion le 12 mai, sauf que c’était un piège qui lui a été tendu et il fut tué.
Les accusations ont pointé du doigt les gardes de Dbeibah et celui-ci a été accusé d’être l’instigateur de l’assassinat. D’ailleurs en représailles, sa maison a été incendiée. Par la suite et toujours dans un objectif de reprendre la main sur les milices, les hommes du chef du gouvernement ont affronté la plus importante d’entre elles, les Forces Rada, un groupe salafiste qui contrôlait le principal aéroport de Tripoli et les quartiers environnants mais cette milice a continué à se battre jusqu’à prendre le contrôle de la moitié de la capitale.
Un dirigeant cupide
Le magazine britannique rapporte que les habitants de Tripoli en ont assez d’un dirigeant indéboulonnable dont la cupidité a gâché la promesse de construire un Dubaï sur la Méditerranée comme il le promettait. Ils sont fatigués d’attendre les élections promises dix mois après que les Nations Unies l’ont nommé Premier ministre par intérim en février 2021. Et beaucoup considèrent Dbeibah comme l’un des «vestiges» du régime de Kadhafi.
Après un cessez-le-feu salué par l’Onu le 14 mai, des milliers de manifestants ont envahi les rues, scandant les mêmes slogans qu’ils avaient lancés à plusieurs reprises contre Kadhafi en 2011: renversement du régime, tenue d’élections et réunification de l’Est et de l’Ouest.
Pendant ce temps, les Haftar surveillent la situation depuis Benghazi, évaluant s’ils peuvent exploiter le mécontentement en Occident. Ils contrôlent le parlement de l’Est, les champs pétroliers et 80% du pays. Leur siège sanglant de Tripoli a échoué en 2020 mais ils courtisent depuis leurs alliés dans l’espoir d’un retour. Leurs partisans à Zawiya et Zintan seraient en mouvement, de même qu’à Syrte, au centre du pays, et à Ghadamès, près de la frontière algérienne. Des manœuvres qui ont pour but de montrer que les rapports de force ne sont plus en faveur de leur rival Dbeibah.
Lors d’une session tenue par le parlement de l’Est le 19 mai à Benghazi, deuxième ville de Libye et bastion de Haftar, les participants ont déclaré que le régime de Dbeibah était illégitime et ont proposé de le remplacer. Un certain nombre de ministres de Dbeibah ont démissionné de leurs postes sentant le vent tourner.
Le Premier ministre aurait envoyé sa famille à Londres mais continue de s’accrocher au pouvoir. Dans une tentative désespérée de paraître maître de la situation, il a convoqué ses partisans de sa ville natale de Misrata pour sécuriser les rues. Ils auraient tiré sur les manifestants. Il s’est engagé à transformer la caserne de Kikli à Tripoli en parc et à nettoyer la capitale des milices restantes ou comme il les appelle «les extorqueurs», «les criminels» ou encore «les requins». Sauf que, sans eux, son influence risque de devenir de plus en plus faible. Les Libyens et les diplomates étrangers ont commencé déjà à parler de son règne au passé.
Donné à plusieurs reprises comme fini politiquement et à deux doigts de perdre le pouvoir, à chaque fois il a pu le conserver et se maintenir au pouvoir. L’avenir proche nous dira si la poussée de fièvre de ce mois de mai aura raison de lui ou pas.
Donnez votre avis