La cinéaste franco-tunisienne Nadia El Fani a fait cette année son grand retour aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC-2017) avec son documentaire ‘‘Même pas mal’’.
Par Fawz Ben Ali
Bien que le film soit réalisé en 2012 et sorti en 2013, ce n’est que vendredi dernier, 10 novembre 2017, qu’il fut présenté pour la première fois au public tunisien. Et c’est la salle Le Palace, au centre-ville de Tunis, qui a accueilli la première tunisienne du film qui avait reçu le grand prix du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco).
Un public nombreux était présent à cette projection spéciale qui s’inscrivait dans le cadre de la section non compétitive «Regard sur le cinéma tunisien» où un accueil chaleureux fut réservé à la cinéaste qui était émue aux larmes. «Ça fait 5 ans que je rêvais de vous présenter ce film, seul Nejib Ayed (le nouveau directeur des JCC) a eu le courage de le programmer», explique-t-elle. Car oui, malheureusement, après le drame de 2011, il faut désormais du courage pour projeter les films de Nadia El Fani.
Un bilan affreux
Six ans après la sortie de son film ‘‘Laïcité Inch’Allah’’ ou ‘‘Ni Dieu ni maître’’ (titre initial du film), Nadia El Fani retrouve enfin les salles de cinéma tunisiennes. Ces salles normalement réservées à l’art et à la culture n’ont pas été épargnées des extrémistes religieux qui avaient attaqué la salle Africart en 2011, lors de la projection de son précédent film qui avait suscité une énorme polémique pour son titre, car on imagine bien que «les fous de Dieu» n’ont aucune idée sur le contenu, tout comme entre-autres la fatwa lancée contre l’écrivain Salman Rushdie en 1989 pour son livre ‘‘Les versets satanique’’ où les menaçants n’ont certainement pas lu une seule page de l’ouvrage.
En l’année 2011, période de tous les chamboulements et dérives, des spectateurs sont attaqués, une salle de cinéma est saccagée puis fermée et une artiste est menacée de mort. Un bilan affreux qui a fait naître ce nouveau film-documentaire ‘‘Même pas mal’’.
Nadia El Fani, femme militante et artiste engagée, ne s’exprime jamais dans la demi-mesure, c’est d’ailleurs ce qui a fait d’elle la première cible des intégristes. Une femme qui refuse toute oppression et qui défie les préceptes religieux ça fait forcément peur.
Comme son titre laisse à deviner, ‘‘Même pas mal’’ est un témoignage très personnel où la cinéaste tient à nous dire que ni la maladie, ni encore moins les menaces des islamistes ne l’atteignent.
‘‘Laïcité Inch’Allah’’, Nadia El Fani l’avait voulu un hymne à la liberté de conscience et au respect des différences dans une Tunisie qui peine à évoluer vers une vraie démocratie; mais cette Tunisie s’est avérée encore plus fragile que la cinéaste ne la croyait pour avoir été prise au piège de l’obscurantisme religieux qui lui a valu une campagne de diffamation et de sérieuses menaces de mort. Chose dont a entendu parler mais qu’on découvre plus clairement dans ce film.
Une femme toujours debout et une parole libre sans concession.
Un double combat
Mais Nadia El Fani, combattante comme on la connait, ne se laisse pas abattre, elle y répond par le biais de l’art et de la création cinématographique comme elle l’a toujours su le faire. «Je continuerai à faire des films politiques que ce soit ici ou ailleurs, et ma parole sera toujours celle d’une cinéaste tunisienne», affirme-t-elle.
‘‘Même pas mal’’ est un film plus personnel que ses précédents où la cinéaste nous parle sans concession de son double combat contre la maladie d’un côté et le climat de haine semé par les islamistes d’un autre côté.
Elle reste debout contre vents et marées et nous livre à travers ce film autobiographique un message fort, celui de ne pas courber la tête : «N’acceptez jamais qu’on vous fasse marcher à genoux !», dit-elle à la fin de la projection.
Conçu comme une suite pour son précédent film, ‘‘Même pas mal’’ s’inscrit dans la même lutte pour le respect des droits individuels qui demeurent encore bafouées même après le 14 janvier 2011, notamment la liberté de conscience et la liberté sexuelle.
Comparé à ‘‘Laïcité Inch’Allah’’, ce nouveau film se veut plus intime où la cinéaste laisse plus de place à elle-même pour évoquer tout à tour ses angoisses et sa lutte quotidienne tout en restant forte, fière de son parcours et toujours aussi attachée à ses convictions qui sont loin de faire l’unanimité dans ce pays qui s’est fâcheusement habitué à l’unique parti, l’unique religion et l’unique pensée.
Pourquoi faire un film qui raconte les conséquences d’un autre film? Nadia El Fani répond simplement que «ceux qui vivent sont ceux qui luttent», comme disait Victor Hugo.
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