Trois livres, une même alerte. En l’espace de quelques semaines, trois figures politiques classées très à droite — Éric Zemmour, Jordan Bardella et Philippe de Villiers — se retrouvent simultanément au cœur du débat public en France avec la parution de trois ouvrages au ton alarmiste : ‘‘La messe n’est pas dite : Pour un sursaut judéo-chrétien’’, ‘‘Ce que veulent les Français’’ et ‘‘Populicide’’.
Lassaâd Bouazzi *

Trois livres, trois auteurs, trois chaînes de télévision dites «souverainistes» qui se disputent leur présence sur les plateaux… et un même éditeur : Fayard. Coïncidence ou stratégie éditoriale soigneusement orchestrée ? Une offensive éditoriale coordonnée ?
La simultanéité de ces publications — toutes sorties en octobre 2025 — interroge. Leur message converge autour d’un même récit : déclin de l’Europe, menaces identitaires, immigration perçue comme danger, faillite du multiculturalisme, affaiblissement de la nation.
Si les thèses de Zemmour et Bardella, familières du registre identitaire et de la surenchère politique, ne surprennent plus vraiment, c’est le discours de Philippe de Villiers qui frappe par sa radicalité nouvelle au point de susciter malaise et inquiétude jusque dans certains cercles conservateurs.
‘‘Populicide’’ : un testament politique radicalisé
Philippe de Villiers présente ‘‘Populicide’’ comme un «livre-testament» dans lequel il dit n’avoir «jamais bridé sa plume». Il affirme livrer sa pensée la plus «profonde», sans se soucier des «âmes sensibles».
Il y décrit une France au bord de l’effondrement, minée selon lui par une «mutation démographique, culturelle et identitaire» qui aurait donné naissance à «deux peuples» : les Français «de souche» et les autres, principalement issus de l’immigration musulmane.
Pour l’ancien député européen, le salut de la nation passerait par deux voies : l’assimilation totale du «peuple intrus» ou sa déportation vers les pays d’origine. Une alternative qui rappelle les thèses les plus extrêmes du mouvement identitaire européen.
Une assimilation aux exigences identitaires
De Villiers détaille sa vision d’une assimilation «totale et systématique», fondée sur quatre critères : 1. l’amour de la France ; 2. la maîtrise de la langue ; 3. la rupture définitive avec le pays d’origine ; 4. l’adoption de «l’art de vivre» français.
Les deux premiers critères semblent consensuels. Mais les deux derniers basculent dans une logique d’effacement culturel : couper le «cordon ombilical» avec le pays natal, abandonner le halal, et même, selon l’auteur, «apprendre à apprécier le goût du cochon».
Ainsi, l’intégration serait conditionnée non plus au respect de la loi, à la loyauté envers la République ou à l’adhésion aux valeurs communes, mais à l’abandon des traditions et de la confession religieuse.
Ces prises de position, explicitement dirigées contre les musulmans, ont suscité un vif débat et de nombreuses interrogations.
La France favorise-t-elle réellement l’assimilation ?
Derrière la radicalité de de Villiers se cache une question que l’auteur évacue complètement : la France a-t-elle mis en place les conditions nécessaires à une assimilation réussie ?
Qu’en est-il : 1- de l’égalité des chances, particulièrement pour les jeunes issus de l’immigration vivant dans les banlieues ?; 2– de la lutte contre l’exclusion, contre les trafics, contre le décrochage scolaire ?; 3- des politiques culturelles pour renforcer la cohésion nationale ?; 4- des formations civiques capables d’expliquer que la France s’est aussi construite grâce aux tirailleurs algériens, tunisiens, marocains ou sénégalais, ou grâce aux travailleurs immigrés ayant aidé à la reconstruire après la guerre ?; 5- d’un enseignement qui valorise la pluralité religieuse du pays, et explique que Cathédrale Notre-Dame, Grande Mosquée de Paris et Synagogue de la Victoire appartiennent toutes au patrimoine français ?
Depuis des années, l’État peine à répondre à ces défis. Beaucoup de jeunes Français binationaux ne se sentent ni reconnus, ni protégés, ni représentés.
Une vision sélective de l’histoire et du vivre-ensemble
L’un des reproches majeurs adressés à de Villiers est son sélectif état des lieux. Pourquoi le mélange des populations, présenté comme une menace en France, serait-il une richesse lorsqu’il s’agit des États-Unis, puissance mondiale issue d’un brassage massif ? Pourquoi l’apport économique, culturel et démographique de l’immigration serait-il passé sous silence, alors qu’il a contribué à faire de la France la cinquième puissance mondiale ? Pourquoi enfin cibler exclusivement la population musulmane, alors que la présence juive — tout aussi visible — ne suscite aucune alerte dans son discours ? Certains y voient du mépris, d’autres une crainte d’être taxé d’antisémitisme.
Un tournant politique ?
Au-delà des polémiques, une chose est certaine : la sortie simultanée de ces trois livres marque une nouvelle étape dans la bataille culturelle menée par la droite radicale.
L’éditeur Fayard a, volontairement ou non, offert une caisse de résonance commune à un récit de plus en plus structuré, de plus en plus frontal, de plus en plus assumé.
Reste à savoir si cette offensive éditoriale produira un simple écho médiatique… ou si elle préfigure une recomposition idéologique plus profonde de l’espace politique français.
* Officier retraité de la marine tunisienne.



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