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La Tunisie claire obscure de Habib Selmi

Habib-Selmi

Le romancier tunisien Habib Selmi est une voix majeure de la littérature arabe contemporaine. Son oeuvre mérite d’être mieux connue en Tunisie.

Par Imed Bahri

La traduction française du roman de Habib Selmi ‘‘Nisâ Al-Basâtin’’ – publié en arabe par Dar Al-Adab, à Beyrouth, en 2010 et nominé la même année pour l’International Prize for Arabic Fiction – vient d’être publiée sous le titre ‘‘Souriez, vous êtes en Tunisie !’’, aux éditions Actes Sud, en France.

Né en 1951, à El-Alaa, une petite ville à l’ouest de Kairouan, à une cinquantaine kilomètres de Sidi Bouzid, la ville où Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu, en décembre 2010, déclenchant, par ce geste désespéré, la révolution tunisienne, Habib Selmi est professeur agrégé de langue arabe aux classes préparatoires d’un prestigieux lycée de Paris, où il vit depuis le début des années 1980.

Une étrange hypocrisie

Auteur de plusieurs romans, traduits en français, allemand et anglais, son roman ‘‘Nisâ Al-Basâtin’’ ou ‘‘Souriez, vous êtes en Tunisie !’’, brosse un tableau sans concession de la Tunisie, un pays en plein bouleversements socio-politiques, où il se rend régulièrement, en vacances, mais aussi en observateur perspicace, et au regard acéré.

Le narrateur, Taoufik, professeur émigré en France, qui est l’alter-égo du romancier, rentre passer des vacances au pays après une absence de plusieurs années. Chez son frère Ibrahim, qui habite dans un quartier de Tunis, il subit le premier choc : sa belle-soeur Yousra, dont il était très proche, a mis le voile et évite de l’embrasser, mais elle ne cache pas son engouement pour tous les produits venant d’Europe, y compris les sous-vêtements les plus affriolants.

Son frère lui-même se rend régulièrement à la mosquée et y entraîne son fils chaque vendredi, lui inculquant la haine des «infidèles». Ce qui ne l’empêche pas de fréquenter une prostituée ni de dénoncer à la police sa belle et mystérieuse voisine, Naïma, divorcée et voilée, qui habite un étage au-dessus, et semble être à l’origine du brusque changement de Yousra.

Quant à Leïla, la soeur de Yousra, elle semble aux antipodes de ces deux femmes. C’est une femme libérée, certes, bien intégrée avec son mari dans la modernité, mais elle n’a qu’une idée en tête: émigrer. Et pour cela, elle est prête à tout, même à un mariage blanc ou polygame. Aussi n’hésite-t-elle pas à coucher avec Taoufik dans l’espoir d’aller vivre avec lui en France, loin de la Tunisie où, comme tant de jeunes gens, elle se sent étouffer…

La société tunisienne, jadis relativement ouverte et émancipée, et où la femme est éduquée et dispose de droits très avancés en comparaison avec ses semblables dans les autres pays arabo-musulmans, semble désormais se complaire dans une étrange hypocrisie.

La montée des mouvements islamiste est passée par là. Les apparences sont sauves, mais tous les écarts sont permis, dans un jeu subtil d’auto-mensonges.

«Taoufik décrit une Tunisie en plein basculement, entre la mosquée et le bordel. Montée du conservatisme, désert culturel, corruption, hypocrisie, amours contraintes, misogynie, poids du qu’en-dira-t-on», souligne Youssef Aït Akdim dans ‘‘Jeune Afrique’’. Qui cite l’auteur : «Parfois, la vérité romanesque est plus vraie que la réalité».

Un miroir grossissant

Pour le reste, comme ses femmes et ses hommes, Tunis a beaucoup changé elle aussi : elle paraît laide, sale et sordide. En tout cas, elle contraste avec les doux souvenirs que le narrateur en a gardés jusque-là. Et le romancier ne se prive d’appuyer là où ça fait mal et de déployer un miroir grossissant des tares d’une société qui a du mal à assumer les rêves et les aspirations de ses élites.

L’oeuvre romanesque de Habib Selmi, publiée à Beytrouth, au Liban, est connue et célébrée dans le monde arabe. Elle est de mieux en mieux connue aussi des lecteurs francophones. Car outre ‘‘Souriez, vous êtes en Tunisie !’’, quatre autres de ses romans ont déjà été traduits en français aux éditions Actes Sud: ‘‘Le mont-des-chèvres’’ (1999); ‘‘Les Amoureux de Bayya’’ (2003); ‘‘La Nuit de l’étranger’’ (2008); ‘‘Les Humeurs de Marie-Claire’’ (2011). Cependant, elle reste encore méconnue dans son propre pays, la Tunisie, où elle aurait sans doute mérité une plus grande attention.

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