Accueil » Caïd Essebsi en Arabie : Théâtre d’ombres et marché de dupes

Caïd Essebsi en Arabie : Théâtre d’ombres et marché de dupes

Beji-Caid-Essebsi-Salman-Ibn-Abdelaziz

Monarchie totalitaire, l’Arabie Saoudite n’a rien à envier à Daech : leurs deux projets présentent plus de similitudes que de dissemblances. Caïd Essebsi le sait bien…

Par Yassine Essid

En rendant visite à ses amis d’Arabie, le président de la république s’est longuement félicité,  à son retour, de l’entente cordiale permanente entre nos deux pays et leur rapprochement salutaire sans tarir d’éloges envers ses frères saoudiens devenus subitement des partenaires possédant un indiscutable poids politique dans la région et l’entière maîtrise de l’art de la guerre. Ceci leur assure, à juste titre, d’occuper la place du leader d’une entente stratégique unissant les pays arabes sunnites appelés à lutter contre l’Etat islamique (Daech).

La Tunisie, à la fois pays musulman et victime d’attentats perpétrés par Daech, se devait sans ambages, sans délai, délibérément, d’apporter son insignifiante contribution à cette coalition. Faisant preuve d’une infatigable complaisance, Béji Caïd Essebsi a admis, sans l’ombre d’un doute et sans hésitation, notre indéfectible alliance: «ce qui touche l’Arabie saoudite, nous  touche aussi», dit-il. La visite, bien que brève, l’avait satisfait dans l’instant et il se trouva fort rassuré car gavé de promesses.

Cependant, dans ce trop-plein d’amabilités réciproques gonflées à l’excès, il n’y est nulle part question d’argent. Et pour cause. A 33 dollars le baril, les Saoudiens se retrouvent avec un budget 2016 en déficit de 87 milliards de dollars et contraints à «l’austérité».

Mots creux et langue de bois

Toutefois, et dans la pure tradition bédouine, qu’un étranger se présente à eux, en formulant quelques propos à leur louange en forme de prière, chaque membre de la tribu est tenu de donner selon ses moyens: celui-ci des chameaux, celui-là des brebis et ils se dépouilleront de leurs propres vêtements en faveur du malheureux demandeur. Autre temps, autres mœurs.

Tout en nous témoignant de la commisération, ces nouveaux riches du désert, les Al-Saoud, réputés intraitables dès qu’il s’agit d’aide pécuniaire et qui, hier encore, étaient tous des pillards et des braconniers, n’ont pas été jusqu’à se dévêtir pour nous aider. Alors, pour ne pas laisser leur invité, venu de si loin, repartir bredouille, on lui firent don de 48 avions de combat du type F5 prélevés sur leur surplus. Cet appareil, bien que datant de 1962, reste tout de même fiable et performant. D’ailleurs, on n’a pas cessé depuis plus de trois ans d’en apprécier les engagements au combat et la précision des tirs sur les Monts Chaambi contre des ennemis toujours insaisissables.

Le rôle éminent en matière de diplomatie qu’incarne un chef d’Etat possède sa sémantique et ses règles propres, le sens de la mesure et les sens même des mots. Sauf qu’aujourd’hui les mots ne peuvent plus traduire un ton jadis nourri de prudence, de considération, d’usages et de convenances.

Pour les Etats jusque-là rompus à ce jeu subtil, la diplomatie permet de fournir la voie fructueuse permettant la combinaison de leurs intérêts et la conciliation de leurs souverainetés. Le phénomène du terrorisme, nourri indirectement par l’Etat saoudien depuis des décennies, rompt toute rationalité et introduit l’anarchie et l’incommunicabilité dans les relations diplomatiques.

Les nouveaux moyens d’information et les progrès hallucinants en matière de réseaux numériques ont bouleversé les conditions des relations entre Etats que permettait la diplomatie à l’ancienne. Pour que la diplomatie puisse soutenir la cause d’un pays dans le monde, il fallait que l’opinion publique soit indépendante, réticente, ou bien complètement muselée, empêchée de s’exprimer et de manifester une quelconque volonté comme c’était le cas sous l’ancien régime.

Aujourd’hui, l’opinion publique est désabusée, indifférente aux va-et-vient de ses dirigeants, lassée par la langue de bois et ses variantes d’expressions artificielles d’amitié, d’entente et de solidarité qui deviennent des mots creux dès lors que les populations aux abois réclament du concret.

Le temps est donc venu de repenser les liens privilégiés que nous déclarions entretenir avec certains pays, en l’occurrence  l’Arabie saoudite, le Qatar et les Emirats. En  somme les monarchies  réactionnaires du Golfe dont les pétrodollars n’avaient jamais cessé de financer  une économie islamiste occulte qui a conduit le monde à une barbarie qui se déploie tous azimuts. En attendant, nous invitent-ils, aimons-nous les uns les autres parce que Daech nous menace. Pas de complications diplomatiques donc, puisque Daech fait l’unanimité contre lui au sein de tous les Etats musulmans.

On décapite, on fouette, on lapide…

En allant à Riyad, Béji Caïd Essebsi s’est déplacé au nom de la coopération, de l’entente et de la fraternité comme si l’Etat saoudien était le royaume heureux des droits de l’homme. Pourtant l’Etat islamique se réclame d’un géniteur: l’Arabie saoudite et sa machine idéologique. Il représente l’incarnation du mal absolu subsumé aux logiques doctrinales du régime saoudien. Quel était le premier promoteur d’un islam mondialisé, initiateur de l’endoctrinement par le financement des mosquées et d’associations religieuses en Orient et en Occident? Qui a longtemps marchandé son aide économique en Afrique et ailleurs en vue d’assurer l’ancrage d’une islamisation obscurantiste? Bref, qui a fait naître l’Etat islamique?

Monarchie totalitaire, l’Arabie Saoudite n’a rien à envier à Daech. En cherchant bien, on  découvre, de part et d’autre, que leurs deux projets présentent plus de similitudes que de dissemblances. D’un côté la rigueur religieuse dans des sociétés consuméristes, inégalitaires, esclavagistes mais dont le pouvoir de l’argent décuple leur pouvoir de soumettre toutes les terres d’islam à leurs doctrines. De l’autre, un islam de combat social, lui aussi  mondialisé, mais nourri par la fureur des musulmans pauvres qui ont cherché dans le jihadisme un exutoire à leur indignation et à leur colère contre les musulmans nantis et gaspilleurs du Golfe.

Ici ou là, le résultat est le même : l’un, grand mécène du salafisme, endoctrine, l’autre passe à l’acte par un mouvement de guérilla. Mais des deux côtés on décapite, on fouette, on lapide, on coupe les mains, on détruit le patrimoine de l’humanité, on tient la femme à l’écart considérée comme un objet de plaisir et circonscrite dans son rôle de reproduction de futurs  musulmans pieux et/ou jihadistes. Les deux produisent, rendent légitime, répandent, prêchent, défendent et diffusent l’idéologie  du salafisme, et dénoncent la dégénérescence de la civilisation occidentale où tout est sacrilège, blasphème et hérésie.

Hier, l’Arabie saoudite a utilisé l’immense pouvoir que lui offrait à l’époque la télévision comme outil de prêche, d’endoctrinement et de modèle de pensée obscurantiste et régressive qui défend et prône la négation même du savoir. Aujourd’hui, les recrues de l’EI, pour beaucoup, des personnes ayant grandi dans un environnement numérique, ont conscience de la portée que peut avoir internet et les réseaux sociaux dont ils maîtrisent si bien les codes pour en faire leur principal outil de propagande et de recrutement.

L’Arabie saoudite, qui n’est autre qu’un Daech qui a réussi, paraît aujourd’hui étonnée et s’embarque dans une guerre incertaine contre ses infâmes descendants. Une posture totalement irrationnelle qu’elle tente, encore une fois de nous vendre à vil prix. Et elle a trouvé acheteur en la personne de Béji Caïd Essebsi, indigne héritier de Bourguiba, qui n’aurait sans doute pas mordu à l’hameçon…

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!