L’alliance Nidaa et Ennahdha risque de mettre une nouvelle dictature basée des compromis douteux et l’absence de tout projet de progrès.
Par Rachid Barnat
La réunion que viennent de tenir les amis de Hafedh Essebsi à Sousse avec les survivants de Nidaa dans un pseudo-congrès pour introniser le fils du président Béji Caïd Essebsi, est la démonstration éclatante de la trahison de ce parti. Quand on voit le leader d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, s’exprimer devant cette assemblée, on mesure, en effet, l’importance de la trahison en se souvenant des propos tenus par Caïd Essebsi père avant son élection à la tête de l’Etat tunisien.
L’islamisation rampante
C’est à se demander si tous les hommes politiques progressistes ne seraient pas corrompus, puisqu’ils finissent tôt ou tard par pactiser avec Ghannouchi dont l’idéologie est diamétralement opposée à la leurs principes… si toute fois ils avaient des principes.
Béji Caïd Essebsi intrônise son fils Hafedh à la tête de Nidaa Tounes.
Ce fut le cas pour Ettakatol et le CPR, c’est le tour de Nidaa de vendre son âme au diable !
Cette situation, certains commentateurs sur les réseaux l’attribuent au «vote utile». «Voilà où a mené votre vote utile!», nous disent-ils. Ils sont injustes et l’argument est totalement infondé. Ce n’est pas le vote utile qui est en jeu car sans lui et grâce à l’éparpillement des voix, ce serait Ennahdha qui dirigerait le pays, puisqu’elle aurait été en tête des suffrages. Non ce n’est pas le vote utile qui est à l’origine de la situation mais bien la trahison de Nidaa et la constitution adoptée qui met le pays à la merci des combinaisons de partis.
Autant dire qu’il résulte de cette Constitution deux conséquences très graves pour le pays et qui vont entraîner sa perte.
Tout d’abord l’alliance scélérate entre Nidaa et Ennahdha a tout pour durer, car ils auront probablement à eux deux et pour longtemps la majorité. Il se met en place, et les Tunisiens doivent en être conscients, une nouvelle dictature soft, un nouveau parti unique qui par ses arrangements, ses compromis douteux, son absence – et pour cause – de réel projet de progrès, va gérer le pays à la petite semaine et le laisser s’enfoncer petit-à-petit dans l’islamisation rampante (qui a toujours été le projet des Frères musulmans nahdhaouis) et, en tous cas dans la régression sociale et économique.
Il y a ensuite, une impossibilité malheureusement à peu près certaine d’alternance car, compte tenu de la médiocrité du personnel politique, on ne voit pas se créer une alliance forte et porteuse de progrès capable de contrer l’alliance actuelle.
Doit-on, pour autant, baisser les bras? Évidement non ! Il faut agir, œuvrer petit-à-petit d’abord à la prise de conscience, déjà assez développée chez beaucoup de Tunisiens, que la situation actuelle est mortelle pour le pays et qu’elle est un renoncement clair à toute l’œuvre magnifique, à bien des égards, de Bourguiba.
Vers un front de centre gauche
En second lieu il faut, en effet tenter de créer un nouveau rassemblement de tous ceux – et ils sont très nombreux – qui ne veulent pas de l’islamisation de ce pays par les Frères musulmans et de sa conversion au wahhabisme.
Cela devrait être un moteur fort de cette nouvelle alliance. Beaucoup de partis devraient mettre un peu en sourdine leur prétendue particularité dans un réflexe républicain, pour se concentrer sur une priorité absolue : faire échec aux partis qui instrumentalisent la religion.
Un parti ou un front de centre gauche, laïc et refusant toute alliance avec les islamistes et en prenant ses distances avec les pétromonarques qui les soutiennent et financent, aurait sa place et toute sa chance dans ce pays modéré.
Un tel parti ne réussira que si il est clair dans ses objectifs et dans son programme; il pourrait recevoir l’appui des forces de gauche devenues lucides, du moins il faut l’espérer.
Compte tenu des désillusions nombreuses et graves que les Tunisiens ont ressenties ces dernières années, un tel projet ne peut espérer l’emporter que s’il dit clairement les choses et qu’il cesse de louvoyer et entretenir l’ambiguïté, cumuler les non-dits, comme beaucoup l’ont fait; et cesser de se prosterner devant la prétendue modération des islamistes.
Nidaa et Ennahdha constituent désormais une seule famille réactionnaire.
Rassembler la famille progressiste
Que devrait nous dire ce nouveau parti ?
D’abord que son objectif final est constitutionnel: il faut modifier cette constitution voulue par les Frères musulmans, hostile au progrès. Tant que l’on maintiendra cet éparpillement des partis et des majorités, il n’y aura pas de salut et il n’y aura que des combinaisons d’appareil et une politique médiocre.
En second lieu, il faut en arriver à l’interdiction des partis fondés sur la religion qui instrumentalisent scandaleusement la foi des gens.
En dehors de cet objectif constitutionnel, nécessairement à long terme et difficile à obtenir compte tenu de la majorité nécessaire, même si c’est le vœu de la grande majorité des Tunisiens qui aspirent à une réelle laïcité, ce nouveau parti n’aura de chance que si, contrairement à ce qui s’est fait jusqu’à présent, il développe un vrai et clair programme économique et sociale :
– priorité à l’éducation nationale avec un effort budgétaire conséquent ;
– priorité au développement économique avec un réel effort pour plus d’équilibre régional ;
– un vrai programme de lutte contre la corruption (frein économique puissant) et donc une réforme et un renouveau, absolument nécessaire, de l’institution judiciaire ;
– un plus grand effort de justice sociale.
Je suis peut être naïf mais il me semble qu’un tel projet affirmé clairement rencontrerait l’adhésion d’un grand nombre de Tunisiens, jeunes et moins jeunes, prêts à s’engager et à faire un effort pour permettre à leur pays de continuer dans la voie du progrès ouverte par Bourguiba.
Il reste à attendre que se lèvent les hommes politiques capables de cette détermination et de cette clarté.
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