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Caïd Essebsi a fait un rêve : Ben Guerdane, capitale de la Tunisie

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Visitant Ben Guerdane, samedi, pour y célébrer la fête des martyrs, le chef de l’Etat a déclaré précipitamment qu’elle était désormais… «la capitale de la Tunisie».

Par Yassine Essid

Une phrase est logiquement de portée générale, sans effet concret et qui devait rester sans suite, car les émotions et les expressions apparaissent toujours spontanément. Sauf que lorsqu’un chef d’Etat s’exprime, pas une de ses parole ne se profère qui ne soit prise au pied de la lettre. C’est justement ce qui arriva…

Sans trop réfléchir, le Premier ministre convoqua son gouvernement pour une réunion inhabituelle. Tout en se réjouissant d’une telle initiative, on constata tout de même que l’investissement serait onéreux. Mais le ministre des Finances, faisant preuve de son optimisme habituel, balaya d’un revers de main les retombées de tels imprévus. Le Parlement, de son côté, s’était réuni le jour même en session extraordinaire. Les députés convoqués en urgence se présentèrent en masses, y compris les absentéistes les plus invétérés. A peine les circonstances qui faisaient l’objet de la réunion étaient-elles dévoilées par son Président, que l’assemblée se leva comme un seul homme pour entonner en chœur l’hymne national. Dans de telles circonstances il n’y avait plus ni opposition, ni majorité mais une seule et même voix : celle de l’adhésion sans condition au projet présidentiel.

Les experts appelés à la rescousse

Aussitôt, la majorité des ministères concernés, appuyés par des myriades d’experts : géographes, économistes, sociologues, entreprises de bâtiments, ingénieurs de travaux publics et bien d’autres compétences, était sommée, toute affaire cessante, de commencer à dresser les plans de ce gigantesque chantier et de calculer l’ensemble des coûts financiers et humains.

On invita aussi les médias, cercles politiques, intellectuels et artistes à vanter l’optimisme d’un tel transfert comme un atout majeur pour l’avenir du pays et un moment privilégié de son histoire contemporaine.

Jamais un gouvernement, un dirigeant politique, qu’il soit monarque ou président, dictateur ou tyran, n’avait eu le cran d’entreprendre une telle action : transférer la capitale de l’Etat hors de son site actuel où siègent les pouvoirs nationaux à une petite ville située aux confins du sud du pays. Seul Béji Caïd Essebsi avait eu ce courage et cette volonté d’anticiper ce qui allait advenir de ce projet, rendre envisageable une telle hypothèse et vouloir y jouer un rôle résolu.

Toutefois, des questions ne manquèrent pas d’être posées, des problèmes soulevés. Transfert total? Transfert partiel? Ou bien un transfert-redéploiement?
Le type de relève restant imprécis, voire prématuré, on décida, tout en parant au plus urgent, de créer une commission à cet effet qui sera chargée de réfléchir à la logique géographique du projet et aux détails quant à la forme que prendra la relocalisation de la capitale.

Les habitants de Ben Guerdane informés par le gouverneur de l’imminence des travaux, furent tous ravis. Rompus à l’exercice des débrouillardises et réputés pour leur facilité à démêler les problèmes et braver les difficultés de toutes sortes, ils pensèrent immédiatement aux enjeux multiples et complexes, mais surtout aux impacts liés à la bulle immobilière qui ne manquera de gonfler en drainant des profits élevés. Un brutal et astronomique renchérissement des terrains vit immédiatement le jour.

On proposa de raser les habitations et les échoppes des quartiers les plus défavorisés ainsi qu’à expulser leurs habitants afin d’élargir les rues, tracer de nouvelles voies de communication pour accueillir les nouveaux logements, les services publics, les administrations centrales, les infrastructures de base, les ambassades; construire un aéroport international, bâtir de grands magasins, des hôtels et pourquoi pas un jour de gigantesques tours?

On pensa inévitablement au contrôle des flux migratoires et de la croissance démographique de la ville. Pour cela il leur paraissait urgent d’améliorer l’habitat et de satisfaire la demande de logement des nouveaux habitants qui, paraît-il, sont nettement plus exigeants sur ce plan. On décida, avec l’aide des sociologues, de structurer l’espace urbain suivant une logique de classes sociales. Les personnes qui ne disposeront pas de revenus suffisants pour payer le loyer iront s’établir ailleurs, retourner dans les bidonvilles ou aller s’établir à Tunis !

Daech se frotte les mains

Cependant, des questions d’ordre géopolitique ne manquèrent pas de surgir dans l’esprit de tous ces protagonistes. Ben Guerdane est une ville frontalière et la situation actuelle en Libye rendrait la réalisation d’un tel projet quelque peu problématique. Les plus frileux déclarèrent que l’Etat islamique (Daech) pourrait profiter de ce transfert pour prendre le contrôle de la capitale et, par suite, du pays tout entier. Mais l’argument des plus courageux emporta l’unanimité. Une capitale est d’autant plus imprenable qu’elle concentre le plus gros du contingent des forces armées. De plus l’instabilité à la frontière facilitera les trafics en tous genres entre les deux peuples. Le «doux commerce», comme dit Montesquieu, n’est-il pas un facteur de paix et de prospérité ?

Au réveil d’une sieste bien méritée après une journée longue et épuisante, les conseillers du président se ruèrent à son chevet pour lui annoncer la bonne nouvelle : son projet de transfert de la capitale a été applaudi par le parlement, le gouvernement, les partenaires sociaux et tous les corps constitués ainsi que par l’opinion publique. Ils l’informèrent que les habitants de Ben Guerdane lui étaient reconnaissants quitte à sacrifier leurs vies à une œuvre qui demande le don total de soi. Mais le Président, encore confus, ne comprenait rien à leur propos. Où ont-ils pu ramasser une telle idée? Et comment aurait-il pu annoncer une telle absurdité? On lui rappela alors sa propre déclaration mot pour mot. Il piqua alors une crise démentielle, ses pieds martelaient le sol, il gueulait comme si on lui avait arraché un bras. Car comment peut-on être assez stupide pour prendre au pied de la lettre un simple rapport d’égalité entre deux entités: une petite ville meurtrie et le sentiment de solidarité qui devrait animer un peuple tout entier?

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