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A chacun son Bourguiba et la Tunisie pour tous

Bourguiba-et-Lamine-Bey

La célébration, plutôt ratée, du 16e anniversaire de la mort de Bourguiba devrait inciter les Tunisiens revisiter leur histoire de manière plus sereine.*

Par Rachid Barnat

Le 6 avril 2000 décédait le fondateur de la Tunisie moderne. Les Tunisiens se souviennent avec amertume comment Zine El Abidine Ben Ali les avait empêchés de saluer comme ils l’auraient souhaité le départ de ce grand homme qui lui faisait de l’ombre.

La revanche d’un grand homme

Mais voilà, depuis la révolution du 14 janvier 2011, les hommes politiques de tout bord constatent que la mémoire de Bourguiba est restée intacte chez des millions de Tunisiens. Certains qui ont cru pouvoir l’effacer, comme Rached Ghannouchi et Moncef Marzouki, ont tout fait pour la salir allant jusqu’à vouloir changer l’hymne national et le drapeau national pour réécrire l’histoire de la Tunisie dont ils contestent le fondateur et son nationalisme contraire à leur idéologie pan islamiste pour le premier et pan arabiste pour le second.

Il est clair que, malgré ces tentatives, Bourguiba est sorti renforcé de la période récente; et l’on peut dire, car c’est évident, que si la Tunisie a su résister si bien aux tentatives d’islamisation des partis islamistes, c’est en raison de ce que Bourguiba avait apporté en matière de gouvernance et de progrès.

La pratique de l’histoire officielle est courante même dans les pays démocratiques; puisqu’en France, pour ne citer que cet exemple, l’histoire de la résistance et de la collaboration sous le Maréchal Pétain, comme celle de la guerre d’Algérie, n’ont pas fini de diviser les historiens et que les politiques ont écrit une histoire qui n’est pas toujours conforme à la réalité.

Lamine-Bey-Bourguiba

Bourguiba a réécrit l’histoire de la Tunisie pour réduire l’action des Beys à une longue série de trahisons. 

Réhabiliter l’histoire des Beys

Ce que Bourguiba fera, lui aussi, quand il ne retiendra de l’histoire de la Tunisie des Beys que celle du Bey qui a signé le traité du Bardo par lequel la Tunisie a perdu sa souveraineté pour devenir une colonie de la France, oubliant volontairement trois siècles de régime beylical qui s’est construit contre la porte Sublime Porte jusqu’à l’autonomie vis-à-vis de l’empire Ottoman, avec des réalisations que beaucoup de Tunisiens ignorent encore, telles que l’établissement de la première constitution ou l’abolition de l’esclavage, deux premières dans le monde dit «arabo-musulman».

Mais cette histoire des Beys, si elle doit être de nouveau connue, ne doit pas servir à régler des comptes; et il est absolument navrant que la célébration de l’anniversaire de la mort de Bourguiba soit confiée par la chaîne Al-Hiwar Ettounsi à Samir El-Wafi, qui fait voir l’histoire de la Tunisie aux Tunisiens par le petit bout de «sa» lorgnette !

Heureusement que les invités de son émission ‘‘Liman yajro’ faqat’’Pour ceux qui osent uniquement!»), copie conforme de ‘‘Tout le monde en parle’’ de Pierre Ardisson, racoleuse à souhait, sont restés dignes … et que Hajer Bourguiba n’a pas cédé au populisme de l’animateur, véritable bateleur de foire !

La continuité de l’Etat

Hajer Bourguiba, sans esquiver les griefs contre son père adoptif, a rappelé aux Tunisiens que Bourguiba n’avait pas fait un coup d’Etat comme le prétendent les partisans du Bey, puisque concomitamment à l’indépendance, il a fait une révolution pour en finir avec les monarchies en instaurant la République !
Pour le reste, rappelle-t-elle à propos des griefs que rappelaient les descendants du Bey, tout changement de régime s’accompagne d’exactions à l’encontre de ceux qui détenaient le pouvoir, prenant l’exemple des bijoux de la famille beylicale récupérés par les familles régnantes qui lui ont succédé : d’abord par Wassila Bourguiba, puis par Leila Ben Ali… mais qui restent, tout compte fait, en grande partie propriété de l’Etat, puisqu’ils figurent encore dans l’inventaire des biens nationaux, même après le 11 janvier 2011 !

Quand aux exactions à l’encontre du Bey et de sa famille, Hajer Bourguiba rappelle encore une fois que c’est le propre de toutes les révolutions, insinuant qu’il y a pire en faisant allusion à la révolution française qui a décapité le monarque et la reine.

C’est à l’honneur du Bey Lamine d’avoir décliné l’offre de De Gaulle d’être l’hôte de la France, rappelant à celui-ci qu’un Bey ne quitte jamais son pays et aspire à mourir chez lui.

Autrement dans quel pays ayant subi un tel changement de régime, l’ancienne famille régnante a pu continuer à vivre ? Demandez-le aux familles royales de Grèce et d’Italie, entre autres !

Mohamed Ali Bey, arrière-petit-fils de Ezzedine Bey, un des invités de l’émission, semblait bien remonté contre Hajer Bourguiba dont il rappelle l’adoption par Bourguiba pour bien préciser qu’elle n’est pas sa fille naturelle. Elle n’avait aucun complexe de parler de tout ça, lui dit-elle, en lui rappelant les propos de Bourguiba sur sa propre fertilité !

Ben-Ali-Bourguiba

Ben Ali a voulu «enterrer» Bourguiba vivant parce qu’il lui faisait de l’ombre.

Les mauvais «héritiers»

A la question de l’animateur pour savoir quel homme, parmi de tous ceux qui se revendiquent de Bourguiba, représente le bourguibisme de nos jours, Hajer Bourguiba reconnait avoir voté comme beaucoup de Tunisiens contre les Frères musulmans en plébiscitant Béji Caïd Essebsi, mais reste réservée à propos de Nidaa Tounes qui semble l’avoir déçue comme il a déçu une bonne majorité de ceux qui l’ont porté au pouvoir ! Devant l’insistance de l’animateur, Hajer Bourguiba finit par avouer qu’aucun de ses hommes ne représente le bourguibisme, rappelant que Bourguiba était plutôt de gauche.

Quand aux Frères musulmans, que Bourguiba avait combattus sa vie durant, l’animateur s’étonne avec ironie de leur retournement de veste quand, après l’avoir systématiquement diabolisé, ils tentent de le récupérer; puisqu’ils vont jusqu’à l’encenser depuis qu’ils gouvernent avec ceux qui se prétendent bourguibistes.

Un sociologue présent sur le plateau regrettait que l’histoire de la Tunisie soit réduite à des propos de concierge et que les chaînes de TV ne lui consacrent pas des émissions d’un autre niveau avec des participants d’une autre envergure, souhaitant un débat plus profond dans une émission plus sérieuse, laisse-t-il entendre !!

Ne serait-il pas temps pour les Tunisiens de revoir leur histoire sereinement telle qu’elle est et non telle que les pouvoirs en place veulent la leur inculquer, vue à travers leur prisme de l’idéologie qui les anime? Cette histoire doit être le fait des historiens et non des partisans des uns ou des autres qui n’ont aucun souci d’objectivité ni de mesure; et qui semblent vouloir relancer, bien inutilement, les vieilles querelles.

Blog de l’auteur. 

* Le titre et les intertitres sont de la rédaction.

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