L’avenue Bourguiba à Tunis pendant ramadan: piété ou hypocrisie?
Ramadan est à nos portes. Et voici venue l’occasion de vérifier la sincérité de la mue vers une démocratie islamique d’Ennahdha au lendemain de son 10e congrès supposé historique.
Par Farhat Othman
Outre la position du parti islamiste tunisien sur la nécessaire égalité successorale et la dépénalisation du cannabis, questions qui ne vont pas tarder à exiger un comportement responsable au diapason des prétentions au changement, le premier test à réussir est constitué par le prochain mois de ramadan, qui démarre le 6 ou le 7 juin, selon l’observation (ou non) du croissant de lune annonçant le début du mois du jeûne musulman.
Rappel que le nu n’est pas un péché en islam
Avant de parler du mois du jeûne à proprement parler, nous voudrions d’abord rappeler, ou informer ceux qui ne le sauraient pas, d’un fait avéré ayant eu lieu sous le régime de l’islam triomphant, au lendemain de l’entrée des troupes musulmanes conquérantes à La Mecque.
En effet, le premier pèlerinage islamique, l’avant-dernier de prophète donc, s’est déroulé selon la tradition arabe: femmes et hommes déambulant totalement nus autour de la Kaaba. Et le prophète l’a bien accepté.
C’est dire que, contrairement à ce que l’on croit, la nudité en islam, tel ce nu au cœur même de l’enceinte musulmane la plus sacrée, n’était nullement un péché. En cela, la religion était en conformité avec les moeurs arabes, et le prophète l’a accepté, car il a respecté cette tradition ancestrale. Il l’a fait aussi du fait que l’’islam des origines n’était pas pudibond, autorisant même le sexe durant le pèlerinage.
Certes, cela n’allait pas durer et sera finalement changé par la suite, après la mort du prophète; ce fut l’œuvre des jurisconsultes dans un effort de jurisprudence qui était influencé par la tradition judéo-chrétienne où le nu, justement, était bel et bien un péché.
Rappeler cet aspect important de l’islam, c’est signaler aux pudibondes et aux intégristes qu’ils se trompent de religion, y important ce qui n’en fait point partie. Alors, verra-t-on Ennahdha new look, en matière de libertés en islam, rompre avec la conception antique et anti-islamique, cette tradition judéo-chrétienne?
Rappel qu’il n’est nulle obligation absolue de jeûner
Plus précisément, en matière de jeûne, Ennahdha répudiera-t-il enfin le ramadan rigoriste auquel il s’attachait où la foi n’est plus réelle, n’étant que dans l’ostentation et la forme trompeuse, négligeant le fond, la vraie ferveur religieuse devant demeurer discrète ?
Verra-t-on le parti islamiste déclarer enfin haut et fort son adhésion à un mois de ramadan qui soit de piété authentique, étant celui des libertés des fidèles? Un mois où tout se passera comme avant ramadan en termes d’activités économiques et de libertés, le jeûne ne devant être que sincère, en une preuve tangible d’une foi réelle et non d’ostentation.
Or, une telle authenticité ne peut être effective que dans un milieu où nul n’est contraint à simuler et à dissimuler; où donc on a loisir de jeûner ou de ne pas jeûner. Car, en islam vrai, la volonté de jeûner n’est sincère qu’avec la possibilité de résister à la tentation de ne pas le faire, surtout au milieu de ceux qui ne sont pas convaincus par le jeûne et qui ne le font pas, étant justement libres de ne pas le faire.
Assurément, c’est donner ainsi la plus sérieuse des preuves de piété, tout en étant prêt à subir l’épreuve à réussir par les plus sincères fidèles que leur impose Dieu pour les distinguer des hypocrites. Cette épreuve est de jeûner parmi ceux qui ne jeûnent pas et de le faire pour Dieu seul, sans se soucier de ses créatures dont il est seul comptable des agissements.
Faut-il le rappeler aux ignorants se croyants savants? Le jeûne en islam n’a jamais été une obligation absolue ! Jeûner est certes une obligation légale; mais elle s’impose moins au croyant qu’il ne se l’impose librement, et surtout par conviction. Ainsi, ne jeûne pas celui qui le fait par contrainte ou pour tromper; cela contredit l’essence de l’islam qui accorde une importance capitale à l’honnêteté et à la pureté de l’intention.
Rappel que la foi islamique est une libre conscience
On l’oublie souvent : la foi islamique et l’adhésion au dogme doivent être sincères, sinon on ne fait pas partie des vrais fidèles de cette foi, relevant plutôt de la catégorie des hypocrites.
Or, l’islam tolère ces derniers, faussaires de la foi, car il table justement — dans la clémence et la miséricorde divines sans limites — sur leur évolution vers la foi véritable de leur propre fait, librement et sans contrainte, sinon celle de la conscience et au vu de l’exemple des plus pieux. C’est cela le jihad akbar, seul jihad désormais licite en islam.
Au vrai, on ne doit jamais oublier que l’islam est avant tout une fois de libertés. C’est pour cela que le fidèle musulman — le vrai — se soumet totalement, corps et âme, à Allah, son créateur. Et il le fait d’autant mieux que c’est l’acte d’un être libre, conscient et responsable de ses faits et gestes. Voilà le musulman vrai non pas celui qui se joue la comédie et la joue à autrui. Car s’il ne se voit pas altérer ainsi sa foi, Dieu le voit et le juge. Ce n’est qu’un hypocrite qui doit encore purifier sa foi. Il se croit croyant tandis qu’il n’est qu’un musulman de forme, donc un faux croyant !
Ce premier ramadan devrait être une nouvelle ère en Tunisie, celle de la sincérité et de l’éthique dans l’action publique. Il doit donc être le mois sacré de toutes les libertés consacrées par notre belle foi, tolérante et humaniste.
Pour un ramadan des libertés, authentiquement pieux
Ramadan 2016 doit être celui de la liberté de commercer et de consommer pour ceux qui le souhaitent de jour comme de nuit. Il doit être celui de jeûner pour qui le fait par conviction et de ne pas jeûner pour qui n’est pas encore convaincu par les vertus du jeûne; car c’est cela la piété authentique.
D’ailleurs, cela fera du bien à l’économie sinistrée de notre pays qui ne pourra tolérer trente jours de ralentissement sinon d’arrêt des activités pendant la journée. Aussi, c’est être patriote, en plus d’être véritablement pieux en ce mois sacré, que de veiller à faire vivre et/ou laisser vivre l’économie du pays de jour, ne contrariant pas les libertés des Tunisiens — toutes leurs libertés — que cela soit pour consommer et ne pas jeûner, que de s’abstenir de consommer et de jeûner.
Que cafés et restaurants ouvrent donc de ce jour pour qui le veut, en ce ramadan ! Que les brimades cessent à l’égard des non-jeûneurs ! Et que même le commerce d’alcool ne s’arrête point, la liberté du commerce étant protégée en islam. D’autant plus que ce n’est pas l’alcool en lui-même qui est interdit par la religion, mais l’abus d’alcool, donc l’ivresse, notamment pour faire la prière.
C’est que qu’Ennahdha doit veiller à faire en ce ramadan et ce sera le premier test à réussir de sa supposée transformation en parti civil. Le réussira-t-elle ?
Qu’on l’y aide en osant ouvrir les commerces et en n’arrêtant pas la vente d’alcool dans les grandes surfaces. Ce sera un acte citoyen et responsable, sachant que les textes juridiques restreignant la vente et la consommation d’alcool sont illégaux.
Bien évidemment, les plus conservateurs du parti Ennahdha et pas seulement, diront que cela risque de perturber l’ordre public en provoquant les intégristes. Ce ne serait que mensonge éhonté, car ces derniers ne sont qu’une minorité d’activistes connus et il suffit que ceux qui les encouragent en sous-main parmi les religieux et les non-religieux de leur interdire de faire le malin pour qu’ils se tiennent tranquilles.
En effet, il est bien temps d’en finir avec ce mythe du conservatisme social; il n’y a de conservateur que chez des élites qui usent et abusent d’un tel mensonge avéré pour continuer à contrôler la société et asservir un peuple paisible et hédoniste. Or, cela ne saurait continuer en cet âge des foules de la postmodernité. Qu’on y prenne donc garde !
On peut encore aujourd’hui libéraliser les moeurs en douceur et paisiblement; et le parti islamiste en retirera les bénéfices; sinon, cela se fera dans les pires conditions et le parti religieux en aura les inconvénients.
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