La création d’un e-parti est une initiative qui vise à utiliser les réseaux sociaux pour développer une nouvelle forme de participation de la société civile à la vie politique.
Par Rachid Barnat
L’ère des réseaux sociaux, sera-t-elle l’ère de la citoyenneté? Les citoyens vont-ils remplacer les politiques? Devant le ras le bol des citoyens de leurs hommes politiques, qu’ils soient de droite ou de gauche, plus «diseux» que «faiseux», mais surtout loin de leurs aspirations, de plus en plus se développent, ici ou là, des mouvements apolitiques de citoyens désireux de prendre leur destin en main.
Ce fut le cas des indignés ayant initié cette tendance, qui commence à faire tache d’huile dans bons nombre de pays, dont la Tunisie.
On sait déjà que les réseaux sociaux, Facebook notamment, ont eu une très grande influence sur la vie politique du pays, puisque pour Facebook, la Tunisie aura été le premier pays a utiliser cet outil pour sa révolution, inaugurant la première e-révolution pour Facebook.
Des chercheurs se pencheront sur cet apport mais l’on peut déjà dire que cela a libéré les esprits, a permis à beaucoup d’apprendre par les échanges et donc de faire évoluer les idées et les mentalités. J’ai moi-même constaté comment les interventions sur Facebook sont devenues plus riches, plus documentées et plus réfléchies.
Or voici qu’une nouvelle initiative vient d’être lancée qui me paraît riche de possibilité et d’avenir car elle a pour objectif de mettre en place une nouvelle forme de participation à la vie politique en faisant intervenir puissamment la société civile.
Là encore tous les observateurs ont mis l’accent sur le rôle de la société civile en Tunisie. Elle s’est mise spontanément en action, à plusieurs reprises et a fait reculer des idées que voulaient imposer certains partis notamment ceux à l’idéologie pan islamiste et pan arabiste. Le problème c’est qu’elle s’est un peu découragée; et qu’étant, par nature dispersée, elle peine a imposer sa volonté. Or un membre du réseau Facebook vient de proposer la création d’un e-parti avec l’objectif de lutter pour la laïcité et contre la présence de la religion en politique.
Cela a démarré par le post suivant :
«Je réclame votre attention s’il vous plaît… Devant la déliquescence des jeunes partis tunisiens, face aux grands problèmes non résolus, voire insolubles que vit la Tunisie et en raison des sérieuses menaces qui pèsent sur l’avenir de la Tunisie en tant qu’Etat libre et indépendant, j’en appelle à votre pleine adhésion pour nous réunir autours d’un minimum de valeurs universelles de nature à redonner un élan sur la voie de la prospérité manquée.
J’ose espérer que la série de propositions que je soumets humblement à mes compatriotes trouvent l’écho et la critique suffisants pour amorcer la construction d’une voie de salut.
Et je ne suis qu’une vérité parmi onze millions de vérités !
Je vous propose d’emblée la création d’un e-parti électronique résolument tourné vers les nouvelles techniques partagées.
L’e-parti repose sur l’usage des moyens de l’internet pour la communication, nous épargnant le lourd système suranné des partis traditionnels.
Mais qu’il soit entendu que l’e-parti que je propose se doit d’être un simple réceptacle pratique pour mieux véhiculer le premier concept : l’universalité des valeurs dont essentiellement la laïcité. C’est la raison pour laquelle je souhaite voir naître dans la jungle inextricable des partis, le E-Parti Laïc Tunisien (EPLT) franchement et clairement opposé à l’islamisation de la politique et la politisation de l’islam.
Dans notre monde de plus en plus frappé par la globalisation, rajouter un handicap de frilosité et de contraintes charaïques (en appliquant la charia) insondables et non miscibles dans la démocratie, entraîne fatalement l’immobilisme, voire la décadence et le mal-être.
La laïcité est une condition nécessaire mais loin d’être suffisante pour corriger la trajectoire de notre devenir.
Nous élaborerons les concepts et les principes un à un ensemble.
Et si vous permettez, je serai votre humble serviteur le temps de chercher et de trouver les dirigeants les mieux à même de nous guider dans cette aventure… je souhaite, et c’est ma conviction, que la femme tunisienne bien plus habile, plus productive dans ce cas de figure, soit hissée au premier rang.
Bonne réflexion.»
A la suite de ce post, un internaute a proposé une charte pour ce nouveau mouvement, qui se présente comme suit :
«Ce groupe a vocation à réunir l’ensemble des Tunisiens, déçus par les partis politiques et par le pouvoir en place, qui souhaitent œuvrer à leur niveau pour faire progresser le pays.
L’ensemble des personnes intéressées doivent souscrire aux valeurs suivantes :
– ils reconnaissent que l’histoire de la Tunisie a connu diverses civilisations et diverses communautés (berbère, juive, chrétienne, musulmane, arabe, espagnole, turque, française); et que cette histoire a toujours été une histoire de tolérance de l’autre, d’acceptation des différences de mode de vie. Et que le pays s’est enrichi de ces différents apports;
– ils acceptent de faire la promotion de la laïcité, vue essentiellement comme le développement de la liberté individuelle de penser et de croire, et ce pour faire prévaloir la diversité dans ce pays. Ce qui est conforme à la constitution actuelle et au véritable enseignement de l’islam. Cela entraînera un combat pour faire supprimer de l’actuelle constitution le texte selon lequel l’islam est la religion du pays. Un pays n’ayant pas de religion particulière et n’enlevant rien au fait que les Tunisiens sont dans leur grande majorité musulmans;
– ils sont tous d’accord sur le fait que la religion (quelle qu’elle soit) n’a rien à voir avec la politique du pays; et militeront démocratiquement pour l’interdiction des partis qui se fondent d’une manière ou d’une autre sur la religion. Ce qui figurait déjà dans la constitution de 1959, faut-il le rappeler;
– ils estiment que la Tunisie doit faire le choix du progrès dans tous les domaines et qu’elle doit se situer clairement dans le camp des pays ouverts, adeptes de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui constituera la base de leur engagement;
– ils se refusent à soutenir les discours consistant à condamner de manière générale l’Occident même si, bien entendu, ils se réservent le droit de condamner tel ou tel acte des pays occidentaux;
– ils considèrent que l’avenir de la Tunisie est dans un partenariat actif et volontaire avec l’Europe et estiment que le partage des richesses des deux civilisations, y compris la langue, est une richesse à développer et à offrir aux jeunes du pays. L’histoire et la géographie même de la Tunisie la situent dans la Méditerranée, et non dans la péninsule arabique comme certains semblent s’en convaincre;
– ils sont d’avis qu’il faut aider les partis à sortir de leur petites querelles de basse politique pour s’unir le plus possible en vue de l’intérêt du pays et refusent toute alliance avec les islamistes quels qu’ils soient, porteurs de régression et de risque d’atteinte aux libertés.
– ils pensent, enfin, que le régime d’élection choisi, beaucoup sous la pression des islamistes, est mauvais car il ne permet pas de dégager une majorité claire et stable, seule capable de faire avancer ce pays.»
Beaucoup ont déclaré être intéressés par ce groupe de pression et de réflexion mais il y a eu aussi des commentaires critiques qui ont permis d’affiner le projet qui ne devrait pas aboutir à un énième parti politique – il y en a déjà beaucoup trop – mais à un groupe de réflexion et de pression et à un outil pédagogique pour faire comprendre l’intérêt de cette évolution du pays, dans la voie qu’avait ouverte le président Bourguiba et que le pays est en train de perdre.
Dans ces conditions il est de l’intérêt de ce mouvement qu’il ne soit pas un parti politique. Il y a, en Tunisie déjà suffisamment de partis; en ajouter un, ajoutera à la confusion; alors qu’il faut, au contraire, œuvrer pour que des rapprochements s’opèrent.
Par ailleurs, s’il devenait un parti politique, briguant des postes, on peut penser, l’homme étant ce qu’il est, que des petites ambitions naîtraient et que des divisions même artificielles apparaîtraient.
Il faut donc qu’il soit clair pour les adhérents qu’il s’agit d’un groupe de réflexion, d’influence, de pression et d’orientation.
En second lieu, certains ont reproché à la charte de ne pas entrer dans certains détails politiques (économiques, sociaux ou de politique étrangère). C’est tout à fait volontaire car ce groupe ne rassemble que sur l’essentiel, à savoir le choix de société que veulent les adhérents pour leur pays. Une fois d’accord sur cet essentiel, chaque adhérent pourra militer pour le parti de son choix en pesant de ses convictions, pour qu’il aille dans le sens de la charte.
Il y a dans cette idée quelque chose d’important qui permettrait aux Tunisiens et, notamment aux jeunes, de s’approprier le débat de manière nouvelle sans les pesanteurs et les compromissions des partis qui, cherchant à ratisser large, ne veulent pas prendre nettement position sur certains sujets essentiels pour, croient-ils, ménager leur électorat potentiel.
Espérons que cette idée ne restera pas qu’une belle idée mais se concrétisera et que de nombreux jeunes voudront participer et adhérer, en marge des partis qui ont tant déçu et qui continuent de décevoir.
Bon vent pour cette heureuse initiative !
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