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Tunisie : Ces nomades qui nous gouvernent

Palais du gouvernement à la Kasbah, Tunis. 

Au nomadisme des députés, passant d’un parti à un autre, succède, en Tunisie, celui des ministres changeant de portefeuilles et d’occupations au gré des jours.

Par Slaheddine Dchicha *

Jusqu’au 25 février dernier, les élites politiques ont habitué les citoyens à un nomadisme polymorphe. Des députés hyperactifs et atteints de bougeotte n’arrêtant pas de se déplacer d’un groupe à un autre; des responsables politiques faisant parfois dans la même journée plusieurs allers-retours entre différents partis et des leaders du premier ordre musardant parmi les convictions et les croyances les plus variées et changeant d’idéologies plus fréquemment qu’ils ne le feraient de chaussettes ou de chemises, à telle enseigne qu’il serait pertinent pour parler de ces nomades de les désigner par Sans Parti Fixe (S.P.F.) ou par Sans Conviction Déterminée (S.C.D).

De revirement en volte-face
La seule constante à ces pérégrinations, reste l’ambition et leur seul invariant, l’intérêt personnel, à l’affût de la moindre opportunité et convoitant toute position lucrative vacante…

Bien sûr, ces revirements et ces volte-face qui rendent l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et les formations politiques dangereusement plastiques puisque leur composition change sans cesse au gré des intérêts et des alliances, font toujours l’objet de justifications longues et alambiquées: l’intérêt du peuple, celui de la nation, l’union nationale, le salut public, le dialogue national, le Pacte de Carthage…

Au niveau gouvernemental, ce nomadisme politique ou idéologique est généralement accompagné d’un autre qui pourrait être qualifié de professionnel. Les ministres changent de ministères et d’occupations et donc de compétences comme s’ils étaient omniscients, polyvalents et omnipotents… même si, on le sait, ce ne sont pas les ministres qui travaillent, mais les hauts fonctionnaires, les administrateurs, les conseillers et les technocrates qui sont à leur ordre et service…

Conflit d’intérêts et confusion des genres

Mais le 25 février dernier, le nomadisme a atteint des sommets : l’ancien porte-parole et secrétaire général adjoint de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Abid Briki à la tête du ministère de la Fonction publique et de la Gouvernance est remplacé par Khalil Ghariani, membre du bureau exécutif et vice-président de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica)!

En apparence, un syndicaliste par un autre ! Un représentant des salariés par celui des patrons. Equité et alternance !
Mais on peut y voir aussi un conflit d’intérêts, une confusion des genres. Privatisation du public? Nationalisation du privé?… «Fin de l’histoire», comme dirait un libéral intégral, à moins que ce ne soit une «collaboration des classes», comme dirait un marxiste ou un marxologue.

Le Premier ministre commence à être un habitué de ce genre de comportement impulsif et tout le monde se souvient des conditions du limogeage d’Abdeljalil Ben Salem, l’ex-ministre des Affaires religieuses, en novembre 2016.

L’impression de précipitation, d’improvisation et d’amateurisme que donne cette décision du Premier ministre, vient d’être confirmée par M. Ghariani lui-même, jeudi 2 février. En effet, à peine quelques jours après sa nomination, l’ex-futur ministre a décliné l’offre de M. Chahed en ces termes : «Après mûres réflexions, et soucieux de préserver les grands équilibres et d’éviter de nouvelles tensions, j’ai préféré renoncer à cette mission».

Il est étrange que le chef du gouvernement ait agi avec autant de naïveté et de légèreté. Sa précipitation à limoger le ministre Briki qui avait des velléités de démission revêt une allure de vengeance infantile et impulsive tout en constituant à la fois une provocation et un défi à la centrale syndicale, ce qui vient fragiliser davantage le Pacte de Carthage auquel il doit sa nomination à la Kasbah.

Plus tard dans la journée, Youssef Chahed persiste et signe. Il confirme lui-même sa propre précipitation, sa propre improvisation et son amateurisme en décidant dans un geste désinvolte de supprimer le ministère de la Fonction publique et de la Gouvernance. En accomplissant ce «fait du Prince», le Premier ministre a agi conformément à la loi scientifique bien connue : «Pour faire baisser la température, il suffit de casser le thermomètre».

* Universitaire.

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