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Ecueils et périls de l’économie tunisienne selon Fitch 

Au regard de l’indice du risque économique, Fitch Group classe la Tunisie derrière la Libye et la Palestine et juste devant la Syrie et le Yémen.

Par Asef Ben Ammar, Ph.D. *

Dans sa dernière mise à jour au sujet de l’économie tunisienne, Fitch Group fait un portrait peu reluisant de l’état des lieux, des écueils de politiques économiques et risques liés.

D’une quarantaine de pages (en anglais uniquement), ce rapport, publiée hier, lundi 26 février 2018, pour le 2e trimestre de cette année, et signé par des experts spécialistes du suivi et de la prospective de Fitch (Business Monitor International- BMI) met le doigt sur les déterminants de la morosité, pointe les périls liés, incriminant ouvertement la mal-gouvernance politique des enjeux économiques en Tunisie.

Dans son analyse des perspectives économique du court terme (24 mois à venir), Fitch va jusqu’à classer la Tunisie dans le lot des pays arabes qui sont en guerre civile, et qui arrivent en queue du peloton des 18 pays du Moyen Orient et Afrique du Nord (Mena).

Incroyable, mais vraie, la Tunisie arrive presque dernière, dépassant seulement la Syrie et le Yémen (des économies ravagées par la guerre). Même la Libye et la Palestine occupée font mieux que la Tunisie, au regard de l’indice du risque économique.

Regardons en détail ces mauvaises nouvelles et tentons de les examiner à tête reposée !

Les pesanteurs économiques

Avant de délivrer leurs constats, les analystes de Fitch notent le caractère diversifié de l’économie tunisienne et souligne son grand potentiel : fort capital humain, proximité de l’Europe, tourisme, IDE, etc. C’est ainsi qu’ils introduisent leur lecture des forces de l’économie tunisienne, avant de souligner les graves dérives des principaux indicateurs économiques, budgétaires et monétaires. (Tableau 1).

Sans détour, le rapport souligne la débandade du dinar tunisien (DT), et indique que la chute de la monnaie nationale n’est pas prête à s’estomper au moins pour les trois prochaines années. Il explique cette débandade par les déficits accumulés (budgétaire et commercial), mais pas seulement ! Le rapport fait référence aux politiques monétaires qui n’ont pas su anticiper, juguler et contenir vigoureusement les risques encourus par le dinar.

Sur un autre front, les auteurs soulignent que l’inflation est quasiment hors de contrôle, ce qui ruine le pouvoir d’achat et alimente les revendications et les tensions vécues et potentielles, notamment dans les régions intérieures, du centre et du Sud. Dans la même veine, ils déplorent l’affaissement de la demande agrégée (vecteur de relance), et la panne de la mécanique de l’épargne, principal catalyseur de l’investissement. Le rapport insiste pour dire que l’inflation n’est pas prête à se calmer pour les prochains mois et années.

Le rapport fait aussi un large détour pour expliquer l’incapacité du gouvernement à infléchir un chômage qui reste à des niveaux inquiétants pour les jeunes… Ajoutant que cela alimentera d’autres contestations dans le futur proche notamment dans les régions isolées, précaires et oubliées par les politiques économiques du gouvernement de la coalition, actuellement au pouvoir.

Les auteurs et experts de Fitch déplorent les déficits budgétaires, les gaspillages et les politiques dépensières du gouvernement. Ils soulignent aussi que les tensions sociales sont alimentées aussi par l’indiscipline budgétaire et les politiques erratiques initiées, sans évaluation ni suivi, par les ministères clefs de l’État.

Les risques et les scénarios prévisibles

Le rapport ne se limite pas uniquement aux perspectives économiques du court terme, mais il va jusqu’à 10 ans dans ses projections et l’élaboration de scénarios politiques liés. Trois scénarios sont mis de l’avant et analysés.

Le premier scénario parie sur le renforcement progressif d’une démocratie stable, mais centralisée à Tunis. Selon le rapport, ce scénario, first best, est privilégié, étant donné que les donateurs et les pays amis de la Tunisie financeront ce scénario (par des aides, des prêts et de l’assistance technique).

Ajoutant que le FMI tacle le gouvernement à cet effet, et exige des réformes urgentes allant dans ce sens, en modernisant l’administration publique, en initiant un système efficient de gestion des financements publics.

Le deuxième scénario prend en compte les élections municipales à venir, pour examiner un scénario de démocratie instable et fractionnée par la décentralisation en émergence. Les auteurs du rapport pensent que la Tunisie est déjà très divisée et rongée par les clivages, et qu’une décentralisation outrancière donnera plus d’autonomie aux régions (avec leurs ressources) et affaiblira les systèmes de défense (militaire) et de sécurité nationale. Selon les auteurs, un tel scénario donnera plus de failles exploitables par les groupes extrémistes religieux. Les auteurs déconseillent implicitement, une telle décentralisation qui pourrait faire perdre encore plus de pouvoir à l’État et à ses institutions.

Le troisième scénario est décrit comme un «neo-patrimonial state», et qui ressemblerait à ce qui s’est passé en Égypte, en évitant de prononcer le mot Égypte. Il s’agit d’un scénario fondé sur un leadership individuel fort, le tout dans le cadre d’un clivage et une forme de «démocratie» soft et qui sera, malgré tout soutenue par l’Europe et l’Ouest de manière générale. Les auteurs n’écartent pas ce scénario, plutôt «anachronique», si le gouvernement de coalition ne prenait pas suffisamment conscience des périls associés au marasme économique actuel et des tensions sociales liées à la mal-gouvernance des dossiers économiques de la transition démocratique.

What’s next ?

Les instances gouvernementales, ainsi que les partis et les constituantes de la société civile, doivent lire attentivement ce rapport. Ils doivent tirer les conclusions, de ces constats qui disent tout haut, ce que beaucoup d’organismes et de pays partenaires pensent tout bas.

Le gouvernement de coalition doit se ressaisir pour repenser structurellement ses politiques économiques et budgétaires. Les ministres et instances gouvernementales ayant conçu les récentes politiques économiques et/ou bloqué des réformes urgentes doivent tirer leur révérence. La société civile est concernée par cette évolution chaotique. Des évaluations neutres et approfondies doivent être faites des politiques économiques actuelles, le tout pour apprendre des erreurs passées et faire mieux à l’avenir !

La situation économique est particulièrement critique, et le temps est compté !

* Analyste en économie politique.

Source : ‘‘FitchGroup-BMI Research (2018). Tunisia Country Risk Report, Q2 2018’’.

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