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Les quatre T : Pour une nouvelle approche du développement en Tunisie

Il est grand temps d’abandonner cette perception élitiste et technocratique du «haut vers le bas» qui méconnaît les potentialités locales et ignore les talents. Et d’opter pour une approche des 4 T : territoires, traditions, talents et technologies.

Par Hedi Sraieb et Aziza Dargouth *

S’il est bien une question sur laquelle toute la population tunisienne semble unanime, c’est bien celle l’absence totale de vision économique et sociale pour le pays, une vision d’avenir censée être au cœur du projet politique des différents protagonistes. Quitte à forcer un peu le trait, on pourrait même dire que les différences observées entre les prétendus programmes économiques ne dépassent pas l’épaisseur d’une feuille de papier. Tous évoquent la nécessité de renforcer les infrastructures économiques et sociales, d’accélérer l’assainissement du climat des affaires, de relancer l’initiative privé et la promotion des start-ups du numérique. On a véritablement un mal fou à trouver de substantielles différences autres que de détail.

Nos politiques enfoncent des portes ouvertes !

Bien sûr, il est question de réformes structurelles que les uns et les autres reprennent à leur compte sans toutefois en préciser les contours et l’ampleur. Tous insistent sur l’impérieuse exigence d’un retour à l’équilibre des comptes de la nation (déficit extérieur et budgétaire) et sur l’apurement des pertes et dettes du secteur public qu’il s’agisse des caisses de prestations sociales que des entreprises publiques de production ou de service.

À dire vrai, on aurait du mal à trouver quiconque qui trouverait à redire à ce qui apparaît comme des évidences de bon sens. Nos politiques enfoncent des portes ouvertes ! Resterait cependant à expliciter le cheminement pour atteindre ces buts. Pas de surprise, non plus ! La réponse est partout et toujours la même : relancer l’investissement afin de créer une croissance plus forte créatrice d’emplois et de revenus, auquel il convient de rajouter désormais l’adjectif à la mode de «une croissance inclusive». On a peine à croire que la pensée collective de ces formations politiques en soit encore là. Au mieux une réelle incapacité imaginative à s’extraire du modèle du bon élève du FMI aux réformes près, au pire un souhait inavoué de ne rien toucher de dommageable à l’ordre économique et social existant.

Pour reprendre une expression savante, la démarche paradigmatique, largement partagée par l’essentiel des formations politiques est une véritable impasse ! Et ce ne sont pas quelques IDE et quelques grands projets qui viendront à bout de la précarité diffuse pour ne pas dire de la grande vulnérabilité de pans entiers de la population.

L’impérieux besoin d’un nouveau modèle économique et social

Qu’on se le dise, le modèle économique et social même revigoré par quelques subsides supplémentaires de généreux bailleurs de fonds n’a aucune chance de sortir durablement le pays de sa léthargie ni ses populations en attente d’un devenir meilleur

Soyons juste, quelques voix, ici et là, s’interrogent sur l’impérieux besoin d’un nouveau modèle. Ces voix ont parfaitement identifié les limites et contradictions du modèle actuel. Elles insistent sur la nécessité de redéployer les forces productives autour de nouveaux axes durables et porteurs; telles les énergies nouvelles ou les biotechnologies, voire même une nouvelle agriculture paysanne biologique et économe en intrants (eau, fongicides), soucieuse de biodiversité et de qualité. Quelques orientations se dessinent, qui s’appuient sur tendances lourdes observées à l’échelle internationale. Elles pourraient effectivement être pourvoyeuses de mieux être social et s’inscrire dans une logique d’intériorisation du changement climatique (renforcement des capacités hydriques, introduction de nouvelles variétés de semences), mais aussi de l’évolution même des besoins sociaux autres qu’alimentaires (logement, mobilité, santé éducation). Resterait à déterminer comment enclencher ce processus plus vertueux !

Outre l’échec patent du modèle, c’est la méthode même de conduite du développement qui est en cause. Ce qui prédomine outrageusement depuis des années et jusqu’ici, c’est la logique descendante (du haut vers le bas chère aux technocrates) de projet circonscrit, sous tendu par un calcul comptable (coût / bénéfice). Tout n’est que projet ! Rien que de plus classique!

Projet d’infrastructure, projet agricole, projet d’activité industriel ou de service, sans que jamais ne soit analysé a priori, les synergies possibles ou les effets de complémentarité entre les projets. C’est ainsi de manière récurrente et absurde, que chaque ministère déploie ses propres projets indépendamment de toute concertation avec les populations concernés ni même avec d’autres ministères qui conduisent aussi d’autres projets sur le même périmètre géographique et social ! Il en découle gaspillages, inefficacité, non prise en compte effective des besoins comme des capacités réelles des populations concernées.

La logique des 4 T plus proche des besoins réels de la population

C’est une autre logique qu’il convient de mettre en œuvre. Une logique de bas en haut, intégrée autour de grappes de projets complémentaires convenablement dimensionnés. C’est la logique des 4 T que l’on observe désormais un peu partout dans le monde. Une logique qui part des besoins d’un territoire (1er T) et de sa population, respectueux des traditions (2e T) de production, de consommation, d’échanges (nul besoin de grandes surfaces) et des modes de vie. Une logique qui s’appuie sur les aspirations et talents (3e T) trop longtemps négligés pour ne pas dire considérés comme archaïques et arriérés, mais aussi sur l’assimilation et l’appropriation de nouvelles technologies (4e T). La modernité ne se décrète pas !

À sillonner les territoires urbains mais aussi ruraux, on se rend vite compte des erreurs commises par la logique de développement en place : inadaptation des choix, sous-utilisation, méconnaissance des besoins réels jugés anachroniques.

Aucun développement social, digne de ce nom, ne peut se faire à marche forcée, qui plus est, vers une prétendue modernité non maîtrisée et sans âme, sauf bien entendu pour quelques-uns ! Il est grand temps d’abandonner cette perception élitiste et pour le moins technocratique du «haut vers le bas» qui méconnaît les potentialités locales, les talents dénigrés et ignorés. De la formation qualifiante, oui ! Les jeunes en demandent mais pas celle, voie de garage, offerte par les structures actuelles de formation professionnelle sous équipées et sans formateurs de grande expérience.

Les talents ne poussent pas sans un accompagnement adéquat. Ils se cultivent, s’entretiennent, se bonifient pour autant qu’ils soient reconnus et gratifiés. Regardez l’artisanat marocain ! Nos jeunes sont férus de technologies, mais encore faut-il qu’ils y aient accès : permaculture, apiculture, impression 3D.

Nous pourrions ainsi multiplier les exemples des potentialités qui n’attendent qu’à éclore !

Il est grand temps, répétons-le, que ministres, conseillers techniques, responsables à tous les étages des appareils d’Etat s’approprient cette démarche des 4T bien plus féconde économe et efficiente.

* Docteur d’Etat en économie et experte en développement local.

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