Candidat à l’élection présidentielle sur la base d’une réputation reconnue d’intégrité, Abdelkrim Zbidi saura-t-il redonner ses lettres de noblesse à une politique dévergondée, qui ne relève que de l’ostentation formaliste ?
Par Farhat Othman *
Pour qui juge les apparences à la surface n’allant pas en leur creux, la candidature d’Abdelkrim Zbidi aurait été crédible, n’était une instrumentalisation supputée par des intérêts voulant en profiter. Si l’intéressé est apprécié pour son intégrité, on lui attribue une malléabilité qui le rendrait le jouet des intérêts le soutenant. Outre le profil bas affectionné, effacé sinon terne, ne se dit-il pas lui-même n’être pas fait pour la jonglerie politique des lions, ou supposés tels, et renards et assimilés ?
Au vrai, ce qui serait le talon d’Achille du ministre de la Défense démissionnaire est son atout, ce qui lui permettrait de rafler sûrement la mise s’il honore, sans faillir, le critère principal de sa candidature : l’impératif moral.
C’est qu’il est cette soif parcourant le pays en ces temps troubles et d’incertitudes extrêmes de voir la politique faite autrement, plus sincère et éthique. De ces élections noircies dès le départ par tant d’irrégularités, que résume éloquemment la honte de l’encre électorale, preuve tangible de leur facture mercantile, Abdelkrim Zbidi serait-il donc le chevalier blanc tant attendu ?
Force de la faiblesse
Si d’aucuns jugent l’ancien ministre de la Défense comme dénué de charisme, ils oublient qu’il en a le principal ingrédient : son éthique personnelle et politique. Ce qui constitue une arme fatale susceptible de réduire à néant les ambitions de ses adversaires, démasquant leurs mensonges et cette supercherie de politique sans lettres de noblesse. De plus, le charisme se construit avec le pouvoir, surtout quand il a la qualité éminente d’être intègre. De même est-il faux de prétendre Zbidi sans personnalité ou envergure, la réserve à laquelle il était astreint dans le marigot politicien ne l’ayant pas empêché d’en faire montre, défendant ses valeurs en les exprimant haut et fort, les actant même en démissionnant une première fois du ministère de la Défense.
Ce n’est pas l’indépendance politique et morale d’un Zbidi nullement manichéen, se tenant à égale distance des intérêts des uns ou des autres, qui fait sa faiblesse; c’est plutôt une force, une clef de réussite en cette Tunisie divisée où le président doit être au-dessus de la mêlée, au service de tous avec les différences et les antagonismes. C’est un tel président qu’attendent les Tunisiens, n’appartenant à aucun parti, n’étant que la patrie.
Pour cela, il était souhaitable que les candidats aux vues proches de celles incarnées par Zbidi, dont le chef du gouvernement auquel il appartenait, choisissent de rester au-dessus de la mêlée en soutenant une candidature qui semble être le choix, forcément décisif, de la fée penchée sur le berceau d’un pays dont on veut faire modèle, une simple démocratie de forme si nécessaire.
Talon d’Achille de Zbidi
La faiblesse d’Abdelkrim Zbidi est ailleurs, moins située en lui que chez les responsables de sa campagne qui déploient une stratégie politicienne à l’antique. On l’a vu lors du dépôt de candidature où ils ont manqué de ce tact et humilité dont notre classe politique est le plus dépourvue.
Outre de se comporter déjà en rival, avant le début de la campagne, avec le chef du gouvernement auquel il appartenait, Zbidi a été amené à reproduire des postures n’ayant guère plus d’intérêt auprès d’un peuple espérant au souffle du renouveau. Il s’est engagé à recourir au référendum pour réviser la constitution comme si cela importait aux Tunisiens plus que les sujets cruciaux tus, notamment l’état d’illégalité généralisée du pays devenu un parfait État de non-droit avec une constitution cliniquement morte.
Un tel recours aux schémas éculés ne fera pas élire Zbidi, même s’il semble programmé à l’être. D’autres en parleront abondamment et il est inutile de parler comme eux dans le vide et pour ne rien dire eu égard à l’espoir suscité par ses atouts personnels auprès du peuple; or, il est de faire enfin écho à ce qui fait sens dans sa vie quotidienne.
Sortir des sentiers battus
Au premier tour, le vote est pour soi, son parti, d’où un éparpillement des voix réduisant le score des principaux candidats; ce qui augmenterait celui de Zbidi s’il savait, ne représentant pas de particularité politicienne, parler des aspirations populaires premières, y apportant réponse concrète, sans souci pour le clapotis des causes secondes.
Eu égard au domaine présidentiel par excellence, cela implique de situer la Tunisie en son environnement géostratégique. Zbidi qui a évoqué le rétablissement des relations avec la Syrie doit aller plus loin. Dans un monde rétréci, la souveraineté nationale ne faisant plus sens hors l’entrelacs des rapports internationaux intimes, la Tunisie n’a que le choix d’agir à transformer sa dépendance informelle de l’Europe en dépendance formelle avec des droits, non la charité actuelle; ce qui impose l’adhésion à l’UE. Cela se ferait en un espace de démocratie méditerranéenne à créer, avec libre circulation humaine garantie et relations paisibles avec tous les États méditerranéens, Israël notamment, à reconnaître selon la légalité internationale.
L’autre domaine présidentiel, la sécurité nationale, suppose d’aller aux racines du mal terroriste dont souffre le pays, car on ne combat pas le terrorisme en renforçant les lois scélérates, mais en les abolissant. En effet, protéger et non brimer le citoyen par la loi, le rend libre et le retient de la violence. D’où la réforme plus qu’urgente de la législation nationale illégale et scélérate; mais aussi la lecture intégriste de la religion prévalant dans le pays, tolérée sinon encouragée. Il importe de revenir urgemment à la foi des Lumières, l’islam des origines.
Avec un parler-vrai à toute épreuve, substantifique moelle de l’art politique, situant la Tunisie en son milieu géopolitique, juridique et idéologique, on choquera à la surface tout en interpellant l’inconscient collectif et l’imaginaire populaire; ainsi incarne-t-on le bel-agir éthique manquant au pays, s’assurant d’entrer à Carthage avec la plus large adhésion.
* Ancien diplomate et écrivain.
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