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Le poème du dimanche : «La vieillesse de la mère» de Fadhila Chebbi

Poète en colère, Fadhila Chebbi élève une voix forte, empreinte de mystique soufie, dans un cri inlassable, entre matérialité du monde et abstraction cosmique, entre critique exigeante de la société et philosophie de l’être. Sa condition de femme traverse une réalité décriée avec vigueur, dans une écriture poétique, parfois métaphysique, marquée par le nationalisme arabe, idéologie qui a porté sa vision.

Ecrivant en arabe littéral et arabe dialectal tunisien, Fadhila Chebbi a appartenu au mouvement des années soixante-dix appelé «Poésie autre que métrique et libre» en compagnie de Habib Zannad et Tahar Hammami.

Née en 1946 à Tozeur, Fadhila Chebbi est poète, romancière et auteure pour enfants. Elle a été enseignante d’arabe, son œuvre poétique est couronnée de nombreux prix littéraires.

L’auteure a publié plus d’une trentaine d’ouvrages parmi lesquels, des recueils (enarabe) : Odeurs de la terre et de la colère, 1973; Les nuits aux cloches lourdes, 1988; Le rugissement du matin, 2002; Vers le lieu, 2018; La sortie des instants, 2019. Œuvres complètes, éd. M’hamed Ali El Hammi, 2013. En français: Point et oubli du feu, illustration Colette Deblé, trad. Khadim Jihad, éd. B. Dumerchez, Paris, 1996.

Tahar Bekri

Fi tra’ibi* me retient une lueur de pierre

Mère ouvre tes continents noirs

Entre le tatouage et le tatouage

Il est bon de comparaître

Sagesse de l’astre jeune

Sur le front je dépose mes lourdes affaires

Dans l’éternité laisse-moi

plonger ma tête dans le duvet vivant

M’effraient les cloches du métal dans le sang

La balle perdue du sens

Me retient une lueur de pierre

O montée dans ta vieille obscurité

Mère enfouie dans la pierre

Pardon si je ne t’ai pas rendu visite ce matin

L’appel de l’écriture s’entend de loin

Dans la longue nuit

Je monte l’usure des choses et le sérieux

est le mercure

Ma fatigue inférieure me soutient

La cellule nage dans le doute répandu

La transe m’habite

De moi s’éloignent les vivants mais les rayons restent

et la branche d’avant – la parole

O mère au temps d’argent les mots te ressemblent

Mais ils sont plus forts

Se révèlent des cimes des prophéties pour jouer

Tu as demandé :

Que signifie «Faire sortir le vivant du mort

et le mort du vivant ?»

Le métal allume ses lampes jusqu’à l’innocence

et aux ombres lourdes

Dans le vestibule des pas

l’entrée est la sortie

La mère dit ne crains pas les visages des gens

Par derrière le sens est arrive la voix

O fruit de mon ventre rends-moi la première erreur

Tu es entré dans la brisure être ambivalent

Enlève la chaussure du paraître mon ventre est le guide

Les textes se lancent de toutes parts

Je respire le temps de la lapidation

Tu m’as fait signe assieds-toi à ton tissage ma fille

C’est ton bouclier en temps de guerre

C’est ton temps de paix

qui te protège du froid de la certitude

Je l’ai invitée dans la prairie au tissage tordu

Par-dessus nos têtes

sont passés des vents de pierre solide

La mère a voyagé dans la nuit du désert

A suspendu des rayons vivants

S’est baignée dans les eaux légitimes

Sans être consultée

La voici qui rassemble les papiers du voyage

Sur lesquels se penchent les lettres

Son silence a dit ces cueillettes sont proches

Sur le ruisseau de la vie

Est-ce le temps neutre ta terre

Nous y ordonnions aux arbres lointains

Et il rapprochait les récoltes

Il blessait le tronc et nous buvions

Es-tu l’unicité ou mêlions-nous à toi

les temps qui sont immenses

Tu touches le verbe et il s’écroule

Se désagrègent les ordonnances

Fragments de verre champs diminués

Mère

Viens que je te soutienne contre

la lumière de midi qui s’en va

Nous nous rencontrerons

dans l’estuaire des deux ignorances

Avant le voyage des atomes

* Mot arabe (في الترائب) intraduisible selon l’auteure.

« Eaux relatives », Dar aqwas éditions, 1998.

Traduit de l’arabe par Tahar Bekri

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