Le gouvernement tunisien serait-il prêt à discuter avec les contrebandiers mais pas avec les médecins, assimilés à des voleurs ?
Par Dr Souheil Slama *
Depuis la révolution du 14 janvier 2011, les Tunisiens ont réussi à mettre en place une constitution qui garantit une démocratie participative et ainsi éviter les décisions et les lois unilatérales, qui étaient dictées auparavant par un régime dictatorial.
Cependant, le corps médical en Tunisie a été surpris en 2016 par une loi dictée par le gouvernement sans la participation des hautes institutions médicales, stipulant que l’activité médicale serait une activité qui rentre dans le même statut juridique d’une activité commerciale.
Le code de déontologie médicale malmené
De prime abord, cette loi est en contradiction avec le code de déontologie médicale tunisien mis en place depuis le 20 octobre 1973 mentionnant que la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce (pas de fonds de commerce, honoraires plafonnés, prise en charge des patients selon une éthique bien définie et bien connue par le corps médical, etc.). Faut-il rappeler à cet égard que le conseil de l’ordre des médecins jouit d’une crédibilité incontestable dans la mesure où il représente la plus haute institution disciplinaire qui veille à l’application de ce code et toute infraction relève du conseil de discipline de l’ordre.
Par ailleurs, selon cette loi, le médecin doit remplir une pièce comptable appelée note d’honoraires, mais celle-ci est en contradiction avec la notion de «note d’honoraires» du code déontologique. En effet, selon ce code, «la note d’honoraires» est une note explicative pour le patient entrant dans le cadre du contrat de confiance médecin-patient, ce n’est nullement une pièce comptable.
Le défaut majeur de cette loi est le suivant : le médecin risque, en cas de non application de ses clauses, des sanctions très sévères qui porteraient atteinte à son avenir professionnel, social et familial puisqu’il serait exposé à un emprisonnement de 16 jours à 3 ans pour une simple faute au niveau de la pièce comptable.
De ce fait, le médecin exercerait sa profession dans des conditions pouvant compromettre la qualité des soins et des actes médicaux puisqu’il serait toujours dans l’angoisse d’un risque de faute dans la pièce comptable. Ceci est aussi en contradiction avec l’article 4 du code de déontologie médicale.
Une loi incohérente et inapplicable
Pour toutes ces raisons cette loi n’est pas applicable. Soucieux de l’application d’une loi objective, les médecins se sont manifestés le 3 avril 2016 : en effet, les institutions médicales élus démocratiquement et à leur tête les conseils de l’ordre des médecins et médecins dentistes ont manifesté leur colère et leur refus de cette loi à travers une assemblée générale réunissant des milliers de praticiens qui ont demandé un moratoire ou une suspension temporaire de cette loi puisqu’elle touche à l’éthique médicale à la continuité et à la qualité des soins. Ils ont demandé une réunion avec le ministre des Finances pour expliquer les spécificités de leur métier et les raisons de la non-applicabilité de cette loi. Cependant, le ministère des Finances fait la sourde oreille et traite les médecins de voleurs d’impôts sans se justifier par des chiffres exacts sur la déclaration moyenne des médecins par an et leur part d’impôts par rapport aux autres professions libérales.
Ce comportement fait planer des doutes sur les vraies dispositions du gouvernement à consacrer les valeurs de la république et les principes de la constitution; c’est une erreur monumentale de ne pas faire participer les différents corps des métiers à l’élaboration des lois qui les concernent.
Ce comportement provoque la colère des médecins puisque le gouvernement ne fait pas montre d’une réelle volonté de discuter avec les élites de la société et avec le corps des professions libérales qui payent le plus d’impôts; par contre il est prêt à discuter avec les contrebandiers qui sont des hors-la-loi. Monsieur le ministre du Commerce avait, en effet, déclaré : «Nous aiderons les contrebandiers qui ont régularisé leur situation» (agence Tap, le 26 février 2016) ou encore : «Je veux ouvrir le dialogue avec les plus grands contrebandiers du pays» (Radio Kalima le 22 février 2016).
* Membre de la commission administrative du Syndicat tunisien des médecins libéraux (STML).
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