Le discours prononcé aujourd’hui par Youssef Chahed devant le parlement est destiné à remobiliser les Tunisiens autour d’une œuvre collective de redressement national.
Par Nadya B’Chir
«Le peuple a perdu la confiance dans l’Etat» : voilà comment le chef de gouvernement désigné Youssef Chahed a ouvert son discours lors de la séance plénière consacrée au vote de confiance, vendredi, à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Les députés présents dans l’hémicycle du Bardo et les Tunisiens qui ont suivi ce discours à la télévision ont constaté une réelle note de changement. Finies les longues phrases en arabe littéraire sur fond de bégaiement, finis les discours à double langage, finies les vérités avouées à demi-mot… Les Tunisiens ont eu droit, aujourd’hui, à un discours percutant, assez instructif et qui ne manque pas de sincérité et d’enthousiasme.
Un langage de vérité
A l’opposé de ses prédécesseurs, Youssef Chahed a choisi de s’exprimer en dialecte tunisien, histoire de se faire comprendre de tous et de toucher le plus large public possible. Bonne pioche ! En effet, les mots de Chahed ne sont pas tombés dans des oreilles indifférentes. Des réactions immédiates ont salué, sans équivoque, les paroles de vérité, accrocheuses et non dénuées d’ambition.
Point d’orgue du discours de Chahed, la révélation de la vérité au sujet de la situation économique en Tunisie, longtemps dissimulées par ses prédécesseurs, soucieux d’annoncer de fausses bonnes nouvelles ou d’avouer des demi-vérités. De crainte de heurter la sensibilité de l’auditoire ou croulant sous le poids de la responsabilité, les anciens chefs de gouvernement n’ont jamais trouvé les mots précis et justes pour décrire les problèmes structurels du pays.
«Nous avons réussi notre transition démocratique, toutefois la crise économique persiste. La production du phosphate a accusé une forte baisse de l’ordre de 60%, la productivité a, de même, régressé dans le secteur des hydrocarbures, de l’énergie et du tourisme. La masse salariale a doublé, conjuguée à une forte chute de la production et de la productivité. Quant à l’endettement, il est actuellement à hauteur de 56 millions de dinars soit un taux de 62% de PIB», a lancé M. Chahed, comme pour souligner la gravité de la situation à laquelle son gouvernement va devoir faire face dès les prochains jours.
Youssef Chahed ne s’est pas contenté de brosser un tableau sombre de la situation économique en Tunisie, il a aussi lancé des avertissements aux Tunisiens, qu’il a mis face à leurs responsabilités. Si la situation de crise actuelle persiste et reste en l’état, l’Etat serait amené à adopter une politique d’austérité en 2017, qui sera une année particulièrement difficile pour les finances publiques, en raison du paiement d’une partie des dettes accumulées au cours des cinq dernières années.
Tout en appelant à la responsabilité de tous, les responsables, les investisseurs, les travailleurs et les citoyens dans leur ensemble, Youssef Chahed a passé en revue les priorités qu’il a fixées pour son gouvernement, notamment la lutte contre le terrorisme, la corruption, le marché parallèle et la dégradation du cadre de vie. Mais aussi, et surtout, la relance de la production, l’amélioration de la productivité et la valorisation du travail. Le chef de gouvernement désigné a même menacé de sanctions les meneurs de grèves, sit-in et mouvements sociaux anarchiques, qui grèvent dangereusement l’économie nationale.
Les chiffres qu’il a avancés pour souligner la chute vertigineuse de la production de phosphate, l’une des ressources importantes du pays, suffisent, dans ce contexte, à justifier une politique plus ferme vis-à-vis des agitateurs et des saboteurs qui nuisent gravement à l’économie nationale.
Voler au secours de la Tunisie
Youssef Chahed n’a pas cherché à dramatiser une situation déjà suffisamment dramatique. Il a voulu tenir un discours de vérité pour mobiliser les citoyens en faveur des réformes structurelles et approfondies qu’il compte mettre en route dans l’urgence, et qui sont les seules garantes d’une reprise de la croissance économique, créatrice de richesses et d’emplois.
La chute de son discours a, d’ailleurs, été bien étudiée. En empruntant la fameuse phrase de feu Chokri Belaïd, le leader du Front populaire assassiné en 2013 par des extrémistes religieux: «Lazemna naqfou el-touness» («Nous devons voler au secours de la Tunisie!»), il a voulu dire aux Tunisiens que le processus de redressement national est l’affaire de tous et que des sacrifices doivent être consentis.
Il a aussi voulu lancer un message aux camarades de feu Belaid, qui ont refusé, dès le départ, de s’associer au gouvernement d’union nationale, pour les exhorter à ne pas s’exclure de cette œuvre collective et à éviter de rester confinés dans une posture d’opposition inefficace sinon destructrice.
Grâce à un discours clair, précis, tranchant, sincère et sans concession, Youssef Chahed a regagné les quelques points qu’il avait perdus suite de l’annonce de la composition de son gouvernement, qui compte quelques personnalités non exemptes de reproche.
Maintenant qu’il est assuré de bénéficier de la confiance de l’Assemblée avec une confortable majorité et de rejoindre le palais de la Kasbah au début de la semaine prochaine, il ne lui reste qu’à retrousser les manches, à mettre rapidement en marche son cabinet (une lourde machine constituée de 40 ministres et secrétaires d’Etat) et de joindre rapidement les actes aux mots. Car le temps presse et il sera attendu au tournant.
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