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Nidaa Tounes : Chronique d’une mort annoncée

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Une atmosphère d’enterrement…

Faut-il laisser mourir l’agonisant Nidaa Tounes de sa belle mort ou lui faire subir un acharnement thérapeutique sans espoir de rémission?

Par Yassine Essid

A première vu, et n’eût été la présence du drapeau national et de l’insigne officiel du parti placés en arrière plan, on aurait conclu à une banale réunion d’un groupes d’inconnus autour d’une même table. Son objet pourrait varier entre un débat entre des responsables d’entreprise, les délibérations de l’académie des gastronomes, une discussion entre les copropriétaires d’un immeuble, l’échange d’opinions entre les membres de l’association de sauvetage des chiens errants, ou le bavardage superflu d’un comité de défense de l’environnement, mobilisés contre l’intolérable abus de pesticides.

Or, il ne s’agit rien de tout cela. C’est simplement la présence d’une faction rebelle de Nidaa Tounes appelée à se déterminer une énième fois par rapport aux mesures à prendre sur les profondes fractures qui ne cessent d’agiter le parti.

Des têtes d’enterrement

Cependant, une lecture plus attentive de l’image montre que l’état d’abattement de ces redresseurs de Nidaa Tounes, tous figés dans une posture inhabituelle, cadre mal avec les nombreuses et bruyantes réunions partisanes que l’on rencontre d’habitude.

Il n’y a là aucun signe qui puisse traduire un débat d’idées pour défendre une cause commune, faire l’apologie d’une doctrine ou simplement concevoir un nouveau programme politique et économique qui soit mieux adapté aux circonstances et aux nouveaux enjeux politiques. Bref, tous les ingrédients relatifs aux longues veilles militantes.

Or, pour des groupes portés habituellement aux paroles faciles accompagnées de fortes gesticulations et rompus à une loquacité sonore mais vide de sens, cet état d’abattement, de mutisme ainsi que l’absence de ferveur laissent présager le pire.

Humeur sombre, morne tristesse, visages impénétrables, sinistres même, sont autant d’attitudes communes aux cérémonies funèbres. Mais, contrairement aux enterrements, il y a là ni corps, ni sépulture, ni conduite au lieu destiné, ni inscription, ni épitaphe. Il n’y a pas ici trace d’une personne qui aurait cessé de vivre, plutôt l’agonie d’un mythe, la fin d’un rêve, l’abandon définitif d’un projet de société d’autant plus que, pour bon nombre d’entre eux, une mort prochaine serait bien plus supportable si seulement elle était soutenue par l’espoir d’une résurrection.

Comme il arrive souvent dans ces moments pénibles, les fidèles réunis n’ont pas manqué de combler un silence lourd et de tromper leurs craintes en se remémorant Nidaa Tounes et sa vocation démocratique désormais révolue. Les voilà tristes, énumérant les misères, les amertumes, les déceptions, les vanités; accablés par les trahisons, se rappelant les bienfaits du malade agonisant. Malgré leur tragique désespoir, ils se laissaient aller de temps à autre à quelques plaisanteries qu’ils mêlaient à leur plainte et à leur détresse.

Toutefois, chacun s’accordait à admettre dans un long soliloque intérieur que les choses auraient été plus supportables si seulement on pouvait pleurer le défunt, organiser un rituel d’enterrement, manifester sa peine et entamer un travail de deuil collectif.

Un agonisant aux portes de la mort

En attendant le dénouement, ils se mirent à parler de leur approche raisonnable et réfléchie des problèmes de société, à évoquer le doux souvenir de leur plan d’avenir pour redresser un pays alors à bout de souffle en instaurant un modèle capable de satisfaire les besoins fondamentaux de la population par la restructuration d’une économie apte à satisfaire ses besoins en permanence : investissements dans la production créatrice d’emplois, modernisation des infrastructures et des installations, réforme et édification d’un tout autre système de formation et d’enseignement. En somme, rendre effectif les possibilités, alors toutes théoriques, d’un nouveau modèle de société.

Enfin, tous étaient pris par ce regret mélancolique d’avoir manqué par-dessus tout à l’engagement de se placer en alternative aux islamistes, crédible et rassembleuse. Car ils représentaient bien à l’époque un futur idéal et sans défaut qui avait rapidement trouvé résonance auprès de nombreux électeurs au point d’assurer à la victoire du fondateur de Nidaa Tounes à la tête de l’Etat et d’une majorité de représentants à l’Assemblée.

La récente annonce de la création d’une instance nationale de sauvetage au sein de Nidaa Tounes surprend plus d’un. Une petite phrase qui aurait suscité l’hilarité générale si l’agonisant n’était pas déjà aux portes de la mort. Une décision bien tardive car les rebondissements fréquents des uns et des autres avaient aggravé son extrême souffrance.

Ayant vécus la lente agonie du parti qu’ils tentèrent désespérément de ramener à la vie, ils se retrouvent aujourd’hui à bout de force morale et physique suite aux incessantes et vaines navettes entre les protagonistes en conflits. Les voilà résignés, anéantis, terrassés par une tristesse et une désolation immense.

Nidaa Tounes, reconnu à ses débuts comme un parti solide, uni, à la peau dure et au cœur ferme, est malade de la vanité de ses dirigeants, paralysé. Sa mort est désormais jugée préférable à cette vie de déchirements. Sa résistance a pourtant duré longtemps mais au prix d’horribles tortures. Cette dernière initiative, cette ultime tentative de compromis ressemblent au râle d’un agonisant, un reste de vie prêt à s’échapper par le souffle affaibli de sa respiration, un dernier moment de lucidité, avant que le patient n’entre dans une sorte de somnolence perpétuelle.

Des candidats au partage d’une dépouille

Tout Nidaaiste se retrouve maintenant enfermé dans un dilemme abominable. Quel décision prendre envers l’agonisant? Le laisser mourir de sa belle mort ou le maintenir en vie alors que le pronostic vital est engagé? Respecter sa volonté ou continuer à lui faire subir un acharnement thérapeutique lourd et disproportionné par rapport à l’amélioration espérée? C’est toujours le problème du conflit entre la liberté du patient et les convictions de ses partisans. Ce qui est sûr, c’est que dans tous les cas de figures, il y aura immanquablement des candidats avides de se partager les dépouilles d’un ci-devant.

Parmi cette assemblée d’influentes personnalités, une question fondamentale restait suspendue en l’air. Comment en sommes-nous arrivés-là, se demandaient-ils? Evidemment, chacun s’estimait suffisamment irréprochable, ayant toujours accompli son devoir envers le parti dans l’intégrité de sa conscience.

Quant au public, plongé dans son misérable quotidien, il a fini par acquérir une vision de la politique qui ne lui permet plus de cautionner l’étalage des pires bassesses humaines : duperies, trahisons, querelles, chantages, mensonges et fausses promesses qui n’admettent ni pardon, ni rémission.

Ces électeurs déçus de la politique se retrouvent ballottés entre la résignation, car persuadés que ni la démocratie ni la sortie de crise ne sont pour demain, et la nostalgie d’un sauveur suffisamment charismatique et autoritaire pour remettre le monde à l’endroit.

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