L’annonce officielle de la création du nouveau parti, Tunisie d’abord, a eu lieu lundi 24 juillet 2017, dans une ambiance feutrée, avec un prélude musical concocté par le metteur en scène Fadhel Jaziri.
Par Salah El-Gharbi
La mise en scène semblait chercher laborieusement à donner à la cérémonie un cachet particulier à travers un savant mélange d’authenticité, d’attachement à la nation et aux causes qui traduiraient les fondements idéologiques et politiques de la nouvelle formation.
On était loin de la houleuse rencontre organisée, en novembre dernier, lorsque les mêmes personnalités, ou presque, s’étaient rassemblées dans une même salle aux Berges du Lac de Tunis, dans le but de raisonner le directeur exécutif autoproclamé de Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Essebsi, qui n’en faisait qu’à sa tête et voulait être le chef à tout prix.
Contrer le «parti du président»
La cérémonie organisée pour annoncer la naissance de Tunisie d’abord a été mise sous le signe de la rupture. Tout en dressant un tableau sombre de la situation dans le pays, Ridha Belhaj, le coordinateur du nouveau parti, a insisté dans son allocution sur le caractère «anti-Nidaa» de ce parti. L’ancien chef de cabinet du président de la république et ancien directeur exécutif de Nidaa, ne s’est pas privé de fustiger en des termes peu amènes les dérives de son ancien parti, tout en adressant des pics au président de la république, Béji Caïd Essebsi, sans le nommer, qu’il a accusé de vouloir transmettre le pouvoir à son fils.
Toutefois, et malgré l’effort qu’il a déployé pour donner une forte tonalité à son intervention, M. Belhaj, qui n’est décidément pas un grand tribun, n’a pas vraiment réussi à emballer la salle. Il a fallu la fougue de Nacer Chouikh et les saillies de Boujemaa Remili, deux membres du comité fondateur, pour faire oublier au public, attentif et discipliné, le ton soporifique du discours d’ouverture.
L’ambition déclarée de Tunisie d’abord est de renouer avec l’esprit de Nidaa lors de sa création, en 2012, et de se substituer au «parti du président», en répondant aux aspirations des déçus de Béji Caid Essebsi, autrement dit, de créer un parti centriste, libéral, progressiste et populaire, avec une direction collégiale, qui pallie au manque de charisme individuel des différents dirigeants par une sorte de crédibilité collective.
Les fondateurs de Tunisie d’abord promettent, par ailleurs, de travailler avec les autres partis animés par le même esprit, dans le cadre d’un «contrat de progrès»…
Ils se disent, également, prêts à soutenir toute action du pouvoir actuel qu’ils jugeraient profitable au pays. «Nous ne serons pas dans une opposition systématique et même si nous n’avons que trois députés à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), nous saurons faire entendre notre voix», a déclaré M. Remili.
Tout en se montrant véhéments dans les critiques adressées au président de la république et à son fils, qui seraient selon eux les principaux responsables de l’enlisement du pays dans la crise politique, économique et sociale, les dirigeants de Tunisie d’abord n’ont pas cru devoir faire la moindre autocritique qui rendrait leur discours un tant soit peu crédible et honnête. Car si certains membres fondateurs du nouveau parti, comme Tarek Chaabouni et Fadhel Jaziri, n’ont pas encore été confrontés aux vicissitudes de l’exercice du pouvoir, ni Ridha Belhaj, ni Abdellaziz Kotti, ni Khemaies Ksila, emportés qu’ils sont par leurs ambitions politiques, ne peuvent faire oublier leurs responsabilités dans le pourrissement de la situation à l’intérieur de Nidaa dont ils étaient, jusqu’à récemment, parmi les plus importants acteurs.
L’amnésie ne saurait tenir lieu de ligne politique
Que n’avait pas fait Ridha Belhaj, alors qu’il était au Palais de Carthage, pour éliminer Mohsen Marzouk et renforcer ainsi la mainmise du fils du président de la république sur Nidaa Tounes?
Qui avait co-organisé la fameuse réunion de Djerba et fait capoter celle de Hammamet, qui firent imploser le parti, courant d’un plateau télévisé à un autre pour défendre les manœuvres dilatoires de Hafedh Caïd Essebsi, sinon les Belhaj, Kotti, Ksila et les autres? Si ces derniers essaient de jouer les amnésiques, les Tunisiens, eux, n’ont rien oublié.
Quoi qu’il en soit, l’annonce de la naissance de Tunisie d’abord, même si elle semble être un non-événement, vient nous rappeler, une fois encore, l’échec du président de la république à préserver les acquis du mouvement qu’il avait créé en 2012, trahissant l’espoir de tant de femmes et d’hommes qui avaient cru, un jour, que les choses évolueraient dans les sens du progrès.
Ainsi, donc, après Machrou Tounes, créé le 20 mars 2015, c’est un autre Nidaa Tounes bis, qui est né le 24 juillet 2017, sous la dénomination de Tunisie d’abord, portant les stigmates des guéguerres passées.
C’est à ses géniteurs, dont aucun ne peut se prévaloir d’un passé irréprochable, de prouver que ce parti n’est pas mort-né et qu’ils sont capables de le faire vivre en gagnant en maturité, en responsabilité et en sens du dévouement au service de leur peuple… et non de leurs ambitions personnelles, ce dont beaucoup les soupçonnent, et à juste titre.
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