Dans cette «Lettre ouverte au président de la république tunisienne» que nous publions ci-dessous, l’auteur reproche au président Caïd Essebsi d’avoir trahi ses promesses faites aux Tunisiens et lui demande de corriger ses graves erreurs en prenant des décisions fortes dans ce qui reste de son mandat.
Par Rachid Barnat
Monsieur le Président,
Je ne suis qu’un citoyen ordinaire dont le père a été un de ceux qui ont combattu le colonialisme français et qui a, pour cela, été plusieurs fois en prison, condamné à mort et gracié par le Général de Gaulle. Permettez-moi de souligner au passage qu’il n’a jamais réclamé une quelconque indemnisation pour son militantisme, contrairement aux demandes scandaleuses qui sont faites actuellement.
Cela étant posé, je pense que, sauf à être complètement aveugle et sourd, vous ne pouvez ignorer que le pays a considérablement régressé depuis la «fameuse Révolution» et la venue des islamistes : inflation galopante; dinar perdant de sa valeur jour après jour; sécurité incertaine dans tout le pays; départ clandestin en masse des jeunes sur des embarcations de fortune, au péril de leur vie, désespérés de leur pays, s’ils ne sont pas embrigadés et envoyés faire la guerre des pétromonarques; mais aussi, et c’est plus grave, l’expatriation des médecins, des ingénieurs et autres diplômés proposant leur service ailleurs dans des pays où ils espèrent trouver ce que leur pays ne peut plus leur offrir : sécurité, travail et reconnaissance; islamisation rampante du pays et donc instauration de comportements rétrogrades; et j’en passe…
De tout cela, je vous tiens responsable au premier chef car vous avez trahi votre parole et vos engagements en vous alliant aux islamistes et en leur permettant de prospérer.
Et ne venez pas nous dire, une nouvelle fois, que vous ne pouviez faire autrement car cela est faux. Faux d’abord parce que chacun sait que votre pacte diabolique avec les obscurantistes date d’avant les élections et ensuite parce qu’après les élections vous aviez toujours la possibilité de refuser cette alliance quitte à ne pas être provisoirement au pouvoir. Vous avez, en faisant ce choix pour obtenir et garder une apparence de pouvoir, perdu aux yeux de l’histoire pour laquelle vous resterez celui qui a trahi et qui, en plus, s’est fait berner par les islamistes.
Je sais que vous faites mine, aujourd’hui, de lutter contre eux parce que des élections approchent. Mais qui de sérieux pourra encore vous croire ?
Enfin, vous serez également pour l’histoire celui qui a laissé son fils diriger le parti que vous aviez constitué et le conduire à sa perte, alors que tout le monde s’accorde à dire qu’il est nul à tout point de vue et qu’il est la marionnette de Ghannouchi et des Frères musulmans puisqu’il a même fait allégeance à Erdogan lors d’une visite en Turquie qui a interloquée les Tunisiens; et enfin, celui qui arrivé à un âge avancé, n’a pas voulu ou su créer les conditions d’une succession digne et efficace pour le pays.
Ce constat m’attriste d’autant plus que je vous avais fait confiance et vous avais soutenu parce que comme tous vos électeurs et particulièrement vos électrices, j’avais cru en vos promesses de faire barrage aux islamistes et que votre parti sera le rempart contre l’islamisme. Vous nous avez redonné espoir aux milliers de Tunisiens qui étions présents à Monastir pour le baptême de Nidaa Tounes, inquiets de l’obscurantisme que leur promet Ghannouchi. Vous avez voulu ce baptême sous les auspices de Bourguiba auquel vous aviez rendu un hommage solennel devant son tombeau avant le grand meeting organisé dans sa ville natale.
Si vous avez des qualités intellectuelles et d’orateur hors pair et, qu’au fond de vous, vous partagez, j’en suis sûr, le vœu d’une grande partie des Tunisiens d’en finir avec la régression islamiste; cependant, vous avez manqué à votre parole et vous avez trahi Bourguiba en vous alliant à ses pires ennemis !
Si je m’arrêtais là, ce texte ne serait pas très important et l’histoire suffirait à vous juger mais je pense que vous pouvez encore sortir, quitter le pouvoir par le haut en disant clairement que le pays ne s’en sortira qu’en interdisant dans une future modification de la Constitution tous les partis instrumentalisant la religion et en soutenant un nouveau mode d’élection qui permette de faire sortir des urnes une réelle majorité.
Votre parole peut encore être forte mais il est temps avant la ruine de ce pays de la faire retentir sans cette crainte qui a paralysé tant et tant d’hommes politiques de ce pays qui n’ont pas eu le courage de dire clairement que l’islamisme, qu’il se présente comme modéré ou non, est un danger très grave pour le pays. Ils ont cru en se taisant, en faisant profil bas, plaire à des pays étrangers et éviter des drames. Ils ont, en réalité, plongé le pays dans la plus grave crise économique et sociale qu’il n’a jamais connue et dont il aura du mal à se relever.
Veuillez croire Monsieur le Président de la République, en l’expression de ma grande déception, mais aussi de mon dernier espoir.
Articles du même auteur dans Kapitalis :
Tunisie : Le salut passe par la mobilisation de la société civile
Les Tunisiens et les élections de 2019 : Face au pire, que faire ?
Le terrorisme jihadiste est le bras armé de l’islam politique
Donnez votre avis