Qu’attend Kaïs Saïed pour réagir à la révélation d’un projet de coup d’Etat le ciblant, dont lui aurait parlé son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan ? Le silence du président de la république est d’autant plus inquiétant qu’il peut être interprété comme une confirmation de ce scénario fantaisiste sorti tout droit de l’imaginaire malade du nouveau sultan ottoman.
Par Imed Bahri
Des médias à la solde de la Turquie et du Qatar rapportent une grossière propagande alimentée par le chef de l’Etat turc, Recep Tayyip Erdogan, selon laquelle ce dernier a aidé à déjouer un coup d’Etat contre le président de la Tunisie, Kaïs Saïed.
Selon Al Quds Al Arabi, quotidien financé par le Qatar, l’agence turque du renseignement (MIT) a déjoué un projet de coup d’Etat, en Tunisie, qui serait manigancé par les Emirats arabes unis.
Et toujours selon Al Quds Al Arabi, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, aurait appelé son homologue tunisien, Kaïs Saïed, en début de semaine écoulée, pour le prévenir de la menace, tout en lui faisant un résumé détaillé des informations détenues par ses services secrets.
Turcs et Qataris au secours de Sarraj et Ghannouchi
Selon l’exposé des faits détaillés, tels que rapportés par les médias pro-turcs et pro-qataris, et repris par plusieurs médias, le soi-disant coup d’Etat devait débuter le 13 juin courant, avec des manifestations contre le pouvoir. Les manifestations devaient être «préparées et dirigées par des personnalités liées à l’ancien régime de Zine Al Abidine Ben Ali et certains leaders d’organisations affiliées à la gauche tunisienne», révèlent les renseignements turcs qui ne manquent pas d’imagination.
Ces personnalités seront d’ailleurs nommées, dans la foulée, par Imed Bhiri, l’ancien membre des Frères musulmans égyptiens réfugié à Ankara et émargeant sur le service de renseignements du nouveau sultan ottoman. Dans une chaîne de télévision anti-égyptienne financée par le tandem turco-qatari, ce dernier a cité nommément Mohsen Marzouk et Abir Moussi, respectivement présidents de Machrou Tounes et du Parti destourien libre (PDL).
«Le coup d’Etat projeté en Tunisie vise globalement à reproduire le scénario mis en place en Egypte pour porter Al-Sissi au pouvoir (…). Ce scénario comprenait aussi la diabolisation du mouvement Ennahdha (…). Une diabolisation qui a déjà commencé, puisqu’une partie de la classe politique veut destituer Rached Ghanouchi qui occupe actuellement la présidence de l’ARP, l’Assemblée tunisienne», écrit Thelenspost. Selon ce site, lui aussi qatari, ou financé par le Qatar (il suffit de jeter un coup d’œil sur les sujets de sa page d’accueil pour s’en rendre compte), l’objectif serait de «plonger la Tunisie dans le chaos à travers des manifestations de rue artificielles, de telle sorte à provoquer la dissolution du Parlement et le viol de la Constitution». Au final, le but serait de «préparer l’arrivée au pouvoir d’une figure inféodée à Abou Dhabi à qui il aurait été demandé d’appliquer à la lettre l’agenda d’Abou Dhabi en Libye et dans la région», écrit Thelenspost.
Des allégations plus grossières les unes que les autres
À l’appui de ces allégations, plus grossières les unes que les autres et qui feraient sourire si la manœuvre turco-qataries n’était pas grave et visait à permettre à ces deux pays de s’immiscer dans les affaires intérieures tunisiennes et y semer la zizanie, comme si les querelles internes déjà existantes ne suffisaient pas, Al Quds Al Arabi parle de «documents sensibles retrouvés par les renseignements turcs dans les coffres-forts de la base d’Al Watiya, après sa reprise le 19 mai par les forces alliées au gouvernement d’union nationale (GNA), évoquant les détails du complot». Ces documents de plusieurs pages contiendraient des éléments d’information compromettants, notamment «les noms de politiciens tunisiens, de responsables de la sécurité et d’hommes d’affaires en contact avec les Emirats et impliqués dans la mise en œuvre du coup d’Etat», souligne encore le journal qatari.
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que cette affaire est cousue de fil blanc. En revanche, il faut être d’une grande stupidité intellectuelle et d’une superbe ignorance des réalités tunisiennes pour croire à un tel scénario, d’autant que les allégations de ces médias (ô combien indépendants) ne se fondent sur aucun document authentique ni sur aucune preuve tangible.
Et le plus grave dans cette affaire, ce n’est pas que les Turcs et les Qataris croient pouvoir s’immiscer dans les affaires tunisiennes (ils ont chez nous des agents bien zélés servant leurs intérêts et leurs agendas, à commencer par Rached Ghannouchi, le président de l’Assemblée et d’Ennahdha, le parti au pouvoir) et essaient d’impliquer notre pays dans le conflit libyen aux côtés de Fayez Sarraj, leur marionnette dans ce pays voisin, au mépris de la doctrine fondatrice de la diplomatie tunisienne, qui s’interdit tout alignement et privilégie la neutralité bienveillante.
Ce qui est grave et, surtout, inquiétant c’est le silence assourdissant des autorités tunisiennes, à commencer par le président de la république, le premier concerné, qui, comme à son habitude, regarde ailleurs et fait semblant de n’avoir rien entendu.
Espérons qu’il ne mordra pas à l’hameçon et n’engagera pas notre pays dans le bourbier libyen en autorisant les Turcs et les Qataris à faire transiter des armes et des hommes à travers notre pays en direction de la Libye voisine.
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