L’auteur, ancienne diplomate, réagit à l’annonce, hier, vendredi 24 juillet 2020, du «limogeage», expéditif et non expliqué, de son collègue, Noureddine Erray, ministre des Affaires étrangères, et qui a donné lieu à une vague de rumeurs et de désinformations portant atteinte à l’honneur de M. Erray et, à travers lui, à tout le corps diplomatique tunisien.
Par Sémia Zouari *
Je ne peux me résoudre à laisser passer le trop médiatisé «limogeage» de notre estimé collègue, le ministre des Affaires Étrangères Noureddine Erray sans lui exprimer toute ma solidarité et lui renouveler ma confiance sans failles en son patriotisme et en son intégrité.
Un ministre des Affaires étrangères (MAE) n’est ni un agent de renseignements, ni un fusible, à l’heure où la situation intérieure et régionale, éminemment explosive, semble échapper à tout contrôle et où il s’agit de garder tout son sang froid devant la floraison de rumeurs complotistes de tous bords.
Les réseaux sociaux ont fait circuler une thèse complotiste incriminant une société turque. Faut-il rappeler que la société TAI a remporté le marché pour la fourniture de drones Anka de surveillance électronique des frontières, bénéficiant d’une ligne de financement publique turque Turk Eximbank, tout juste débloquée en juillet 2020. Présentés au président de la république Kaïs Saïed lors d’un salon aéronautique tenu à Djerba en mars 2020, ces drones sont destinés à la sécurisation de la frontière tuniso-libyenne, un projet promu en coopération avec les Etats-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Otan dont la Turquie fait partie.
La corrélation complotiste entre les islamistes et le régime turc serait hasardeuse et trop précipitée. Quel que soit notre rejet des idéologies islamisantes et leurs velléités autocratiques qui violentent notre modèle sociétal et confisquent les idéaux de notre révolution de la liberté et de la dignité, sachons raison garder car une telle accusation semble peu plausible. Elle pourrait relever de la manipulation stratégique des trop nombreux États impliqués jusqu’au cou dans l’ingérence dans le conflit libyen.
Quoi qu’il en soit, le président de la république a toute latitude de nommer son MAE ou de mettre fin à ses fonctions car ce sont ses attributions constitutionnelles. Mais ses services devraient clarifier la situation devant la presse pour mettre le holà aux rumeurs complotistes insinuant de graves manquements au devoir de notre collègue.
De plus ce terme «limogé» devrait être éliminé du lexique des articles et communiqués de presse. Il est insultant et indigne du rang d’un représentant de l’Etat car il suppose qu’il y a eu faute, manquement à un devoir, ce qui pourrait difficilement être le cas pour notre collègue, diplomate de carrière.
Encore une fois toute ma solidarité avec l’ambassadeur Noureddine Erray car c’est un homme d’honneur et de devoir et aucune accusation de manquement à ses obligations ne trouverait écho auprès de ses pairs. À travers lui, c’est tout notre corps diplomatique orthodoxe qui est humilié et il est temps de lui redonner le rang et la dignité qui lui sont dus.
* Ancienne diplomate.
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