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La Tunisie découvre l’existence de ses agriculteurs

Le problème avec les gouvernements successifs en Tunisie depuis la «révolution» de 2011 c’est qu’ils naviguent à vue, sans vision ni planification ni stratégie, et parent au plus urgent, en colmatant les brèches pour retarder le coup fatal qui, de toute façon, va venir dans un jour prochain. La gestion du secteur de l’agriculture, censée être stratégique pour garantir la sécurité alimentaire de la nation, en est l’illustration la plus éloquente.

Par Imed Bahri

Les ministères de l’Agriculture et du Commerce ont annoncé hier, mercredi 6 avril 2022, l’augmentation des prix des céréales locales pour la saison 2022. Les nouveaux prix qui seront en vigueur pour l’achat des récoltes de cette année ont été fixés comme suit : le blé dur (130 dinars le quintal); le blé tendre (100 dinars le quintal); et l’orge et le triticale (80 dinars le quintal).

L’Etat, dos au mur, pare au plus urgent

Le communiqué des ministères de l’Agriculture et du Commerce indique par ailleurs qu’une série de mesures ont été également prises afin d’augmenter la production des grandes cultures et de collecter le maximum de céréales possible, de réduire le recours à l’importation et d’améliorer la sécurité alimentaire du pays. Espérons cependant que l’Office des céréales trouvera suffisamment de silôts pour y stocker les récoltes qu’il achètera aux agriculteurs et qu’une grosse partie de ces récoltes ne soit pas perdue, comme ce fut le cas il y a trois ou quatre ans, lorsque la production de blé et d’orge a été un peu plus importante que d’habitude.

Ces décisions sont bien sûr les bienvenues, mais on ne peut perdre de vue le fait qu’elles ont été prises sous la pression, lorsque l’Etat s’est trouvé dos au mur et pour cause: ses finances sont dans un piteux état et il a du mal à boucler son budget pour l’exercice écoulé, alors que les prix du blé, des engrais et des semences flambent sur les marchés internationaux, en raison de la guerre russo-ukrainienne, deux pays qui assuraient jusque-là près de la moitié des besoins des pays du sud de la Méditerranée, y compris la Tunisie, en ces produits.

Quand la Kasbah préférait soutenir les agriculteurs étrangers

Il convient de rappeler, à ce propos, que les agriculteurs n’ont cessé d’appeler le gouvernement, depuis plusieurs années, à augmenter les prix d’achat des céréales locales pour leur permettre de rentrer dans leurs frais, qui augmentent sans cesse, en raison notamment de la hausse des prix des semences et des engrais importés et de la dévaluation de la monnaie locale. C’est, disaient-ils, le seul moyen qui leur permettrait de préserver leurs marges, de poursuivre leurs activités et, pourquoi pas, les étendre, afin de réduire l’importation et mettre fin à la dépendance alimentaire de l’étranger, sachant que les Tunisiens les seconds plus gros mangeurs de pâte au monde après les Italiens, leurs voisins du nord. Mais les gouvernements successifs sont restés sourds à ces appels, préférant recourir continuellement à l’importation pour répondre aux besoins du pays en blé tendre, blé dur et orge, quitte à soutenir ainsi les agriculteurs étrangers.

La générosité subitement retrouvée par la Kasbah a donc quelque chose de pitoyable et de pathétique, car non seulement elle vient tardivement, sous la pression d’un marché devenu hors de portée de ses maigres moyens financiers, mais les résultats qu’elle en escompte commenceront à se faire sentir, dans le meilleur des cas, en 2023, si, d’ici là, il y aurait une bonne pluviométrie, que les agriculteurs accepteraient, avec les nouveaux prix, d’étendre leurs superficies emblavées, sachant que les prix des semences, des engrais et de l’énergie, entre autres, chauffent eux aussi sur les marchés internationaux.

Le problème avec les gouvernements successifs depuis la révolution de 2011 c’est qu’ils naviguent à vue, sans vision ni planification ni stratégie, et parent au plus urgent, en colmatant les brèches pour retarder le coup fatal qui, de toute façon, va venir dans un jour très prochain.

C’est là le drame de la Tunisie post-2011, un pays très mal gouverné et qui, tel un bateau au milieu de la tempête, prend de l’eau de toutes parts et coule lentement et sûrement.

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