Entre une résistance qui se perd et une soumission qui se déshonore, préserver la Tunisie

Le problème avec la nouvelle constitution proposée par le président de la république Kaïs Saïed au référendum du 25 juillet courant c’est qu’il ne s’agit pas simplement de pouvoir autocratique ou d’identité; il s’agit surtout de la latitude laissée à une seule personne pour engager vis-à-vis des créanciers étrangers l’avenir d’un pays sur plusieurs générations, sans aucune consultation ni discussion.

 Par Dr Mounir Hanablia *

Un monsieur âgé et cultivé, pour répondre à la question de savoir comment il fallait réagir face à l’échéance référendaire, et évoquant  une expression probablement apocryphe de Cromwell lors de  l’exécution de Charles Ier Stuart d’Angleterre, a parlé de «cruelle nécessité» imposant l’adoption de la nouvelle constitution; selon lui mieux valait cela que le retour de Rached Ghannouchi aux affaires.

Confusion dans les esprits  

Une comparaison qui traduit la confusion qui règne dans les esprits : Charles Ier représentait l’absolutisme royal et c’est parce qu’il s’obstinait à maintenir le parlement dans ses prérogatives traditionnelles et qu’il a cherché à le disperser par la force, celles du vote du budget de l’Etat sur convocation du Roi, qu’il a finalement subi la rébellion du parlement.

Par ailleurs, une défenseure de la laïcité à l’instar de Maya Ksouri, récemment décorée par l’Etat Français, s’est rangée résolument dans le camp de la nouvelle Constitution. Selon elle, l’identité arabo-musulmane de la Tunisie était une réalité qu’il était naturel d’entériner et elle a évoqué la place qu’occupe la religion dans les constitutions des Etats-Unis et de la Norvège pour corroborer ses dires.

Certes ! Mais personne dans ces deux pays ne prétend imposer une législation tirée des enseignements de Luther ou de Calvin. A côté des partisans de Kaïs Saïed, il y en a donc beaucoup qui sont prêts à sauter dans son wagon, en faisant torsion à leurs convictions intimes.

Mis à part ceux-là il y a évidemment ceux qui à l’instar de Abdellatif El Mekki et des membres du parti Ennahdha appellent à voter non. Évidemment ce sont ceux qui ont le plus perdu depuis le 25 Juillet 2021, et leur appel semblerait de prime abord normal. Cependant  comme ils n’ont depuis lors parlé que de «coup d’Etat», il est tout de même curieux que leur logique les pousse à participer d’une manière ou d’une autre au référendum, qu’ils devraient considérer comme illégal. Participer, c’est déjà parier que le résultat réel en serait respecté par l’autorité politique qui a elle-même désigné les membres de l’Instance électorale, et cette éventualité là, rien ne la garantit, depuis qu’on a vu comment Sadok Belaid et Amin Mahfoudh avaient été traités.

Abir Moussi pointe la duplicité d’Ennahdha

L’hypothèse de Abir Moussi, celle de la duplicité du parti Ennahdha, appelant à voter contre, en réalité pour légitimer le résultat du référendum par le nombre des participants alors que ses propres membres s’apprêtent à voter pour, a donc quelque fondement, connaissant les pratiques de ce parti.

Il faut à cet égard rendre hommage à la présidente du Parti destourien libre (PDL) dont les prévisions concernant la concrétisation des intentions présidentielles annoncées se sont avérées jusqu’à présent justes. Seulement ses prises de position souffrent de deux faiblesses, d’abord celle de réclamer le retour à un processus de changement politique respectueux de la Constitution de 2014, qu’elle dénonçait il n’y a pas si longtemps, ensuite de prôner les manifestations de rues, dont certains de ses partisans issus de la classe éduquée ont peine à assumer les risques, et qui dans l’affaire de l’Union Qaradawi s’étaient révélées contre-productives.

Il est vrai que l’enjeu du référendum est nettement plus important parce que le risque existe désormais avec cette nouvelle Assemblée des régions et des territoires, sans précédent, de voir le pays émietté en de multiples entités concurrentes, nonobstant le maintien de la charia en tant que référant juridique.

Mme Moussi a néanmoins choisi une stratégie de la rupture et considéré toutes les mesures prises par le président comme non avenues et a appelé à boycotter purement et simplement le référendum selon elle dépourvu de toute assise juridique ou de garantie du respect de la volonté des électeurs. Elle projette de manifester devant l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) pour en réclamer l’annulation, et en effet après le vote les jeux seraient faits.

Le PDL se pose en alternative crédible

Evidemment rien ne dit pour le moment que les manifestations envisagées réunissent les dizaines de milliers de citoyens obligeant l’autorité politique à prendre en considération leurs exigences, mais il n’en demeure pas moins que le PDL se pose désormais comme la seule alternative crédible au régime personnel dont le président Saïed est en train avec le référendum de poser les derniers jalons.

Dans tout ceci, la question est de savoir où se situent les Tunisiens, qui pour une bonne part, n’ont même pas fait l’effort de lire le texte soumis au référendum; s’ils l’avaient fait ils se seraient aperçus que beaucoup de détails, et non des moindres, doivent être régis par des décrets présidentiels ultérieurs dont on ne sait encore rien.

Cette population semble ainsi s’accommoder, depuis la décennie islamiste au pouvoir, des lubies religieuses, en tant que phénomènes transitoires, dont sa manière d’être à elle apprise tout le long de l’Histoire, toujours à la recherche d’arrangements avec les tenants de l’autorité, Phéniciens, Romains, Arabes, Ottomans ou Français, en dépit des textes de lois et des coutumes en vigueur, finit souvent  par les tourner à son avantage.

Mais il ne s’agit pas simplement de pouvoir autocratique ou d’identité, il s’agit surtout de la latitude laissée à une seule personne pour engager vis-à-vis des créanciers étrangers l’avenir d’un pays sur plusieurs générations, sans aucune consultation ni discussion. Il est vrai que la classe politique évincée ne s’en était pas montrée très soucieuse, et que le président en a joué pour s’imposer, mais il est naturel qu’un pays sache où on veuille le mener et en quoi on l’engage, et en ce sens, quoiqu’on en dise, c’est encore l’opinion de Mme Moussi qui pour la plupart paraît être au diapason des intérêts du pays.  

* Médecin de libre pratique.

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