Où va la Tunisie sous la conduite erratique de Kaïs Saïed ?

La Tunisie entre dans une période d’incertitude totale où les forces politiques, tout en continuant à s’observer, à se jauger et à hésiter sur la démarche à suivre, se contenteront de fourbir leurs armes en attendant l’erreur fatale de l’adversaire. Inutile de préciser ici qu’en l’absence de leadership fort pour montrer aux Tunisiens la voie à suivre, ce sont ces derniers qui, au final, devront trancher pour la poursuite de l’aventure de Kaïs Saïed, qui s’effiloche et s’essouffle, ou pour son arrêt net. Explications…

Par Ridha Kefi      

La réunion entre la délégation de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et le gouvernement, hier, vendredi 2 septembre 2022, s’est terminée sans parvenir à un accord sur l’augmentation des salaires et la mise en œuvre des accords en suspens. Seuls ont été surpris par cette issue ceux qui ont cru un moment qu’un Etat, dont les finances publiques sont dans un piteux Etat, pouvait encore faire des cadeaux à tour de bras !

Sami Tahri, secrétaire général adjoint de l’UGTT chargé des médias et de l’édition, a déclaré que la réunion n’avait pas abouti du fait de l’attachement de la partie gouvernementale à ses précédentes propositions, jugées peu gratifiantes et insuffisantes pour améliorer un tant soit peu le pouvoir d’achat des salariés, lequel s’est détérioré en raison de la flambée des prix, de l’exacerbation de l’inflation et de l’absence de contrôle réel des prix et des réseaux de distribution et de mesures concrètes pour atténuer l’inflation.

Dans une déclaration à Echaab News, organe de la centrale syndicale, M. Tahri a déclaré que l’UGTT a accepté tout ce qui figure dans le procès-verbal de la réunion tenue le 31 août. Il a aussi présenté sa vision des alternatives pour sortir le pays de la crise économique, et cela a fait l’objet d’une rencontre entre le secrétaire général Noureddine Taboubi et la cheffe de gouvernement Najla Bouden.

M. Tahri a averti que l’absence d’accord aura des répercussions sur le climat social, notant que les travailleurs et les travailleuses attendent un accord qui améliorerait leur pouvoir d’achat, tout comme la mise en œuvre des accords précédents, mais cela n’eut malheureusement pas lieu en raison de l’attachement de la partie gouvernementale à ses propositions antérieures.

Le silence assourdissant du gouvernement

Du côté du gouvernement, c’est le mutisme total : pas de communiqués ou de déclarations officielles mais un silence assourdissant qui traduit l’embarras où se trouve aujourd’hui le pouvoir qui appréhende l’aggravation de la tension sociale, en raison de la hausse continue des prix de première nécessité, sans qu’il soit en mesure de faire des cadeaux aux salariés pour améliorer un tant soit peu leur pouvoir d’achat, lequel continue de s’effriter jour après jour, le taux d’inflation ayant atteint 8,2% à la fin juillet dernier, alors que les prix poursuivent leur flambée sur le marché mondial.

En fait, le gouvernement, qui est soumis à des pressions croisées, n’a pas les moyens financiers pour calmer la colère des syndicats, ni de rassurer les bailleurs de fonds potentiels, et à leur tête le Fonds monétaire international (FMI), qui doutent de ses capacités à respecter ses engagements en termes de réformes structurelles. Ces réformes, on le sait, sont catégoriquement rejetées par la centrale syndicale dont les dirigeants menacent ouvertement de les torpiller et d’empêcher qu’elles soient mises en œuvre. Alors que le gouvernement hésite toujours à s’y engager avec l’engagement et la fermeté nécessaires à leur réussite, craignant leurs retombées sociales, dans un contexte de crise larvée. Il hésite aussi à s’y engager pour préserver la paix sociale précaire qui règne actuellement et garantir ainsi les conditions minimales pour l’organisation des élections législatives anticipées du 17 décembre prochain, censées être un rendez-vous déterminant pour la réalisation du projet de «nouvelle république» préconisé par le président de la république Kaïs Saïed.    

On mesure là tout l’embarras du gouvernement Bouden dont la marge de manœuvre est on ne peut plus réduite, car il doit satisfaire à la fois l’UGTT, le FMI et Kaïs Saïed, dont les exigences sont quasiment aux antipodes les unes des autres. Ambiance…

L’UGTT dans ses petits souliers

L’embarras dans lequel se trouve aujourd’hui le gouvernement Bouden n’a d’égal que celui de la centrale syndicale, qui est soumise, elle aussi, à des pressions croisées et ne dispose pas de la marge de manœuvre habituelle lui permettant d’obtenir quelques acquis momentanés pour ses adhérents sous forme d’augmentations salariales, lesquelles, il le sait très bien, ne tarderont pas à être grignotées par l’inflation galopante.  

L’UGTT, qui dispose de bons conseillers économiques, est informée de la situation financière réelle du pays. Elle sait que Mme Bouden n’a pas les coudées franches et qu’elle marche sur des œufs. Elle ne peut, en tout cas, décider de nouvelles augmentations des salaires dans la fonction et le secteur publics sans hypothéquer définitivement les chances des négociations en cours entre la Tunisie et le FMI pour un nouveau prêt.  

Sur un autre plan, l’UGTT veut éviter toute confrontation frontale avec le pouvoir dont, par le passé, il a souvent fait les frais. Le profil bas qu’observe depuis plusieurs semaines le tonitruant Taboubi s’explique sans doute par sa volonté d’éviter une confrontation directe avec le président Saïed qu’il a une chance sur dix de gagner, et pour cause : le président de la république garde toujours, malgré son maigre bilan socio-économique, une certaine popularité parmi les Tunisiens, y compris parmi la masse des syndicalistes. Aussi toute action qui mènerait à une rupture entre la direction de l’UGTT et sa base acquise au président est-elle le scénario catastrophe que M. Taboubi et sa smala craignent le plus et cherchent à éviter coûte que coûte.

De là à dire que la Tunisie entre dans une période d’incertitude où les forces politiques, tout en continuant à s’observer, à se jauger et à hésiter sur la démarche à suivre, se contenteront de fourbir leurs armes en attendant l’erreur fatale de l’adversaire.

Inutile de préciser ici qu’en l’absence de leadership fort pour montrer la voie à suivre aux Tunisiens, ce sont ces derniers qui devront, au final, trancher pour la poursuite de l’aventure de Kaïs Saïed, qui s’effiloche et s’essouffle, ou pour son arrêt net.

Avis de nouvelles tempêtes à l’horizon !  

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