S’il concentre aujourd’hui ses attaques sur le maillon faible du pouvoir, à savoir le gouvernement Najla Bouden, un punching-ball bien commode qui, de bouclier pour le président de la république, pourrait se transformer, le moment opportun, en fusible facile à faire sauter, Noureddine Taboubi sait que, tôt ou tard, il aura à croiser le fer avec Kaïs Saïed qui tient en main la totalité du pouvoir en Tunisie.
Par Ridha Kéfi
Le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Noureddine Taboubi, a appelé la cheffe du gouvernement Najla Bouden à déployer des efforts pour parvenir à un accord qui tienne compte de l’intérêt du pays et du bien-être social.
L’UGTT, rappelons-le, n’est pas parvenue à un accord lors des séances de négociation tenues avec le gouvernement sur les augmentations salariales pour 2021, 2022 et 2023 et sur les accords en suspens. Mais il ne semble pas s’être résigné à accepter ce qui s’apparente à un niet ou à un camouflet, de la part d’un gouvernement qui apparaît comme le plus faible qu’il a jamais eu à affronter.
Dans une déclaration faite aux médias en marge d’une session de formation, organisée samedi 3 septembre 2022 à Monastir à l’intention des directions administrative et financières, de la jeunesse et de la femme et des associations affiliées à l’UGTT, M. Taboubi a souligné que les décisions seront prises en concertation avec les structures syndicales… si aucun accord n’est conclu avec le gouvernement.
Taboubi et l’UGTT temporisent
La menace de nouvelle grève générale dans la fonction et le secteur publics est claire et le gouvernement l’a bien entendue, mais eu égard la situation difficile dans le pays, en raison de la crise socio-économique asphyxiante (économie en panne, déficit budgétaire approchant les 10%, inflation galopante, hausse des prix, pénuries de produits de première nécessité, etc.), peut-on sérieusement s’attendre à une escalade sur le front social, alors que le pays se prépare à de grands rendez-vous politiques: promulgation d’une nouvelle loi électorale, élections législatives anticipées, mise en place de la cour constitutionnelle…?
La question est déjà posée à l’orée d’une rentrée administrative particulièrement tendue. Et à première vue, toutes les conditions semblent réunies non pas seulement pour une escalade mais pour (carrément) une explosion sociale, dont le président de la république Kaïs Saïed, qui continue de caracoler en tête des sondages de popularité, ne semble pas s’inquiéter outre mesure.
Pour le locataire du palais de Carthage, qui a tendance à n’écouter que l’écho de sa propre voix répercutée à l’infini par ses partisans, les choses sont d’une clarté qui ne souffre aucun doute : tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, et ce ne sont pas quelques groupes d’intérêt, barons de la contrebande, de la spéculation et des trafics de toutes sortes qui, en provoquant les pénuries, les hausses des prix et les protestations sociales, qui vont faire douter de la justesse du «processus rectificatif» qu’il conduit avec une obstination ne souffrant aucune contestation.
En attendant une confrontation annoncée
Le problème c’est qu’à la faveur des mesures exceptionnelles qu’il a proclamées le 25 juillet 2021, M. Saïed a accaparé tous les pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) et ne semble pas en faire bon usage, puisqu’à l’exception de quelques textes de lois mort-nés, il n’a vraiment pas pris de mesures concrètes pour aider à sortir le pays de la crise, relancer une économie en panne et calmer la grogne sociale qui grossit, notamment parmi les couches les plus défavorisées, celles au nom desquelles il parle souvent et qui attendent encore la réalisation de ses promesses.
C’est sur ce malentendu, basé sur une surestimation des capacités de M. Saïed à assainir et à réformer un pays gangrené par la corruption, que sont venues se greffer les crises que traverse le pays, et qui sont d’ordres politique, économique et social, se nourrissant les unes les autres, crises qui sont du reste aggravées par un début d’isolement international, suite aux impairs diplomatiques commis par le président Saïed dont la connaissance des arcanes des relations internationales semble très sommaire et surtout faussée par son nationalisme arabe d’un autre âge et ses velléités «révolutionnaires».
Encore heureux que l’UGTT, après avoir longtemps guerroyé contre la présidence de la république, semble s’être assagie pour des raisons qui restent à expliquer, sinon la confrontation aurait été inévitable et elle aurait plongé le pays dans le désordre et l’anarchie. Ce danger n’est cependant pas entièrement écarté, et le feu couve encore sous la cendre.
S’il concentre aujourd’hui ses attaques sur le maillon faible du pouvoir, à savoir le gouvernement Najla Bouden, un punching-ball bien commode qui, de bouclier pour le président, pourrait se transformer, le moment opportun, en fusible facile à faire sauter, le secrétaire général de la centrale syndicale sait que, tôt ou tard, il aura à croiser le fer avec celui qui possède la totalité du pouvoir dans le pays. Il sait aussi que cette confrontation pourrait être douloureuse, non pas seulement pour Kaïs Saïed, le gouvernement et le pays, mais aussi et plus particulièrement pour l’UGTT. D’autant que, par le passé, la centrale syndicale a toujours eu du mal à se relever des coups de boutoir du palais de Carthage, lequel dispose de la force dissuasive de la police, de l’armée et de la justice.
C’est à cette séquence faite d’incertitude, d’inquiétude et de retenue que nous assistons aujourd’hui, sans qu’aucune lueur ne pointe à l’horizon. La crise dans laquelle s’est installée la Tunisie semble donc devoir encore durer.
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