Tunisie – Union européenne : le temps des inquiétudes

Affirmer que l’Union européenne (UE) s’interroge sur l’accélération du processus de dégradation de la situation générale en Tunisie est un euphémisme. Il serait plus juste de dire qu’elle s’en inquiète sérieusement. Même si elle prend soin de ménager les susceptibilités des autorités au pouvoir à Tunis.

Par Imed Bahri

C’est dans ce contexte qu’il convient de situer la visite, pour la première fois à Tunis, du commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, ce vendredi 11 novembre 2022, pour s’entretenir avec le président de la république, Kaïs Saïed, les ministres de la Justice, Leila Jaffel, de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine, et des Affaires étrangères, de l’Emigration et des Tunisiens à l’étranger, Othman Jerandi, ainsi, bien sûr, qu’avec des représentants des organisations de la société civile, pour avoir un autre son de cloche.

Des sujets d’inquiétude

«Plusieurs volets seront abordés au cours de cette mission, dont notamment le processus de réforme constitutionnelle, la réforme électorale, les développements récents, les défis et les perspectives de réforme du système judiciaire, les droits fondamentaux en matière d’État de droit, la justice transitionnelle, la justice commerciale, la protection des données personnelles et, enfin, la coopération judiciaire en matière civile, et pénale entre l’Union européenne et la Tunisie», indique un communiqué publié à cette effet par la délégation de l’UE à Tunis, et qui, comme on le constate, exprime, ne fut-ce que par les thèmes qui seront abordés par le dirigeant européen avec les autorités tunisiennes, les inquiétudes dont nous parlions ci-haut.

Parmi les sujets d’inquiétude, le communiqué évoque ceux éminemment politiques, qui ont trait au processus de «réforme constitutionnelle», de «réforme électorale» et de «réforme du système judiciaire», qui posent réellement problème depuis la proclamation de l’Etat d’exception par le président Saïed, le 25 juillet 2021 et la mise en place d’un système autoritaire où le chef de l’Etat accapare tous les pouvoirs, en promulguant une constitution et une loi électorale et d’autres décrets renforçant ce système dans une sorte de cavalier seul qui fait fin des règles élémentaires de la démocratie.

Cette situation est d’autant plus inquiétante, pour les Tunisiens autant que pour leurs partenaires, que la rupture est presque déjà consommée entre le pouvoir en place et la plupart des corps intermédiaires (partis, syndicats, organisations non gouvernementales…), alors que le président de la république refuse tout dialogue avec les forces vives de la nation et n’écoute que sa propre voix relayée par ses thuriféraires, et que le nombre de ses partisans, si l’on en juge par la baisse de leur activisme sur le réseaux sociaux, ne cesse de se rétrécir comme peau de chagrin.  

Eviter les postures suicidaires

Cette crise politique, qu’aggrave la dégradation du climat économique et social, avec la dégradation des services publics (éducation, santé, transport…), les pénuries des produits de première nécessité, les hausses constantes des prix et la chute continue du pouvoir d’achat, ajoute aux angoisses et aux incertitudes que ressentent les Tunisiens, ce qui, on le comprend, ne présage rien de bon et alarme les partenaires de notre pays.

La Tunisie, qui est située à quelques dizaines de milles maritimes de l’Europe et dont les relations avec le Vieux Continent remontent à des millénaires, a aujourd’hui des relations privilégiées avec l’UE, son premier partenaire, premier bailleur de fonds, premier investisseur, premier client, premier fournisseur et premier pourvoyeur de touristes (excusez du peu!). Il ne peut donc raisonnablement, et dans la situation de crise carabinée qu’il traverse aujourd’hui, se passer du soutien de Bruxelles. Il ne peut donc aussi rester sourd à ses interrogations et faire fi de ses observations. Ce serait un luxe dont il se passerait volontiers.

En revanche, se contenter de lancer des cris d’orfraie, en évoquant une hypothétique souveraineté nationale et en dénonçant des ingérences extérieures serait une position suicidaire, car notre pays a, aujourd’hui et plus que jamais, besoin de la compréhension et du soutien de ses partenaires historiques.  

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