La nostalgie d’une Tunisienne de confession juive

Après la querelle stupide dont a été le théâtre récemment la Bibliothèque nationale à l’occasion d’un débat académique sur les langues oubliées de la Tunisie, dont le judéo-arabe, au cours de laquelle on a entendu des slogans antisémites, nous reproduisons ce texte d’une Tunisienne de confession juive qui revendique haut et fort son identité de «juive arabe» et qui veut être «à jamais la juive tunisienne qui vibre au rythme des vagues de cette Méditerranée nôtre».

Par Elisabeth Cohen-Hadria *

Une fois pour toutes et qu’on se le dise, je ne saurais et ne veux pas cesser d’être une juive arabe… Contre toute logique, je cherche à comprendre pourquoi il me faut choisir, renier ceci et privilégier cela, je n’y parviens pas. Tout m’est nécessaire : le oud (luth) dont jouait mon grand-père, les portes de Sidi Bou et sa baie, le jasmin et ses colliers, l’histoire traversante de ma Tunisie chérie, l’ambre et les bougainvillées, l’odeur des draps qui sèchent en deux heures au soleil d’or, le parfum du pain tabouna qui me fait défaillir, le goût de la mer tiède dans ma bouche…

Et je ne peux pas davantage cesser d’entendre et d’aimer la musique de cette terre que j’aime. Je serai à jamais la juive tunisienne qui vibre au rythme des vagues de cette Méditerranée nôtre…

Et je veux encore marcher pieds nus, hafiana éternelle, dans le jardin de mon père, où ce ne sont pas les lilas qui sont fleuris, mais les eucalyptus…

Il m’est insupportable de lire et d’entendre que tout ceci est révolu, qu’il faut se tourner vers un avenir privé de tous mes symboles, de toutes mes traces…

Je serais vide sans mes histoires de Chrah, sans le bleu des portes cloutées, sans le son du malouf, sans le goût de l’eau dans les amphores, sans l’odeur des épices dans les souks, sans Zina et Aziza, sans la lumière du matin, légère et délicieuse, sans l’image des femmes revêtues du safsari immaculé …

Je ne veux pas que l’on me dise que tout cela a disparu de ma vie depuis longtemps, même si c’est vrai, que la politique est ceci, que l’antisionisme est cela, que cet avenir est à jamais clos, ni que l’on m’arrache à la symbolique de mon passé, qui constitue une part intemporelle de mon essence…

Je ne le veux pas, même si mon délire est total, ce que je n’ignore pas, parce que tout ceci est ma marque de fabrique, mon sceau et mes racines…

Qui comprendra ce que je raconte là d’irraisonnable et d’irraisonné, au mépris de toute logique et de toute cohérence ? Je le sais, allez, je ne le sais que trop, que tout ceci est absurde… Mais au fond de moi subsiste l’espoir, minuscule, invisible presque, d’une filiation possible, d’un lien qui perdure, d’une porte ouverte …

En tous cas, dans mon âme, c’est le cas…

Psychanalyste libérale, France.

Source : Harissa.com.

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