Un pouvoir transitoire exercé par un organe collectif, rassemblant, de surcroît, les plus hautes autorités civiles et militaires de la Tunisie, serait infiniment moins dangereux pour les libertés que le pouvoir personnel et sans limite de Kaïs Saïed.
Par Faik Henablia *
Nombreux sont ceux qui ont mis l’accent sur le ton quasi hystérique du discours du 28 décembre dernier du squatteur de Carthage et peu sur le cadre au sein duquel ces rodomontades ont eu lieu, à savoir le Conseil de sécurité nationale (CSN) dont le lecteur voudra bien examiner la composition et la fonction.
Ce même lecteur me permettra au préalable de rappeler la raison pour laquelle j’utilise le terme de squatteur; tout simplement parce que Saïed n’a aucun titre pour prétendre résider au palais de Carthage.
L’occupant actuel du palais présidentiel, véritable souverain de droit divin, n’a plus rien à voir avec le président élu en 2019, aux prérogatives limitées et parfaitement encadrées par la constitution de 2014, s’étant, entre-temps, emparé de la totalité des pouvoirs, de façon méthodique en passant en force à chaque étape de son entreprise, faisant fi de toute objection et n’hésitant pas, le cas échéant, à s’asseoir sur les textes, y compris ceux (mal) rédigés par lui-même.
Il s’est ainsi dépourvu de toute légitimité en jetant aux orties la constitution de 2014, en vertu de laquelle il avait été élu, tout en omettant, ensuite, de prêter serment, conformément au papier de 2022, pourtant intégralement écrit de sa propre main.
Des alternatives au 24-Juillet
Afin de faire perdurer ce fait accompli, ses partisans agitent constamment l’épouvantail du retour au 24-Juillet, c’est-à-dire au parlement dominé par Ennahdha, occultant le fait que Saïed s’est, depuis son coup de force, bien gardé de s’en prendre à l’islam politique, dont il constitue une sensibilité différente, ainsi que l’atteste l’article 5 de «sa» constitution de 2022.
Un retour au 24-Juillet n’est bien évidemment pas une fatalité, ni même une éventualité car des alternatives existent fort heureusement.
Le fait est, cependant, que la situation actuelle est totalement bloquée par l’obstination maladive de Saïed à se maintenir au pouvoir, en dépit d’une situation catastrophique dont il est en grande partie responsable, tant elle s’est dégradée sous sa supervision indifférente.
L’absence de provision budgétaire dans la loi de finance pour 2023, tant pour la nouvelle cour constitutionnelle que pour la seconde chambre parlementaire, constitue le signe incontestable d’un personnage constamment dans le déni et qui n’a nulle intention de quitter de sitôt, simplement par la non mise en place des mécanismes institutionnels de transition du pouvoir, pourtant prévus théoriquement par «sa» constitution.
Quoi de mieux, afin de maintenir le statu quo, que ce procédé éculé, consistant à annoncer sans jamais réaliser? Le scénario du report, sans doute sine die, de l’élection présidentielle de 2024 devient, de ce point de vue, de moins en moins improbable. Il est des cas où des documents comptables sont plus révélateurs que des discours!
Avec ou sans l’aval de Saïed
Face à ce blocage tragique et au risque d’être qualifié de comploteur contre la sûreté de l’Etat, mais partant, néanmoins, du principe que la loyauté est due à la nation et non à l’homme, pourquoi ne pas envisager, alors, l’hypothèse d’un CSN prenant ses responsabilités vis-à-vis d’un pays exsangue, sous une quelconque forme, avec ou sans l’aval de Saïed ?
Poser la question c’est y répondre car le CSN, évoqué plus haut, est un organe institutionnel, fort heureusement non encore dissous par Saïed et non moins légitime que lui, ce qui présenterait l’avantage de préserver la stabilité dans l’éventualité de son départ, ce dernier s’étant, ainsi que nous l’avons vu, bien gardé de mettre en chantier la moindre disposition de transition, en cas de vacance du pouvoir et étant, de ce fait, devenu le problème plutôt que la solution.
Le CSN pourrait et devrait entreprendre ce qu’un Saïed, sans doute grisé par le pouvoir, s’est abstenu de faire en trahissant les espérances nées d’un certain 25 juillet 2021.
Le Conseil prendrait ainsi, de manière transitoire, la direction du pays en s’ouvrant éventuellement et de manière exceptionnelle à des représentants des organisations nationales et de la société civile.
Le gouvernement actuel, demeurerait en fonction, sous son autorité et serait investi de deux tâches principale: d’une part expédier les affaires courantes notamment en œuvrant à faire aboutir les négociations avec le FMI, mises à mal par l’incohérence de Saïed et, d’autre part, organiser, dans un délai raisonnable et préalablement annoncé, n’excédant pas 3 a 4 mois, des élections présidentielles et législatives anticipées, seules susceptibles de restaurer une légitimité institutionnelle, en ayant préalablement veillé à neutraliser tout lien de financement occulte entre associations islamistes douteuses et le parti Ennahdha, ce qui lui a toujours conféré un avantage indu et expliqué ses scores électoraux.
Pouvoir transitoire exercé par un organe collectif
Le nouveau président élu et à la légitimité retrouvée, reprendrait alors, de plein droit, sa place au sein de ce conseil et surtout, au sommet de l’Etat.
Ceci impliquerait la caducité de tout ce qui a été décidé et entrepris par Saïed, en vue de démanteler les institutions de l’Etat ainsi que le rétablissement des institutions antérieures, sauvagement manipulées par le fait du prince.
Ainsi seraient déclarés nuls et non avenus, le décret 117, grossière et illégale usurpation du pouvoir ainsi que la «Constitution» de 2022, parallèlement au retour à celle infiniment plus légitime de 2014. quitte à la réformer ultérieurement par des organes légitimement élus; idem pour les décisions arbitraires concernant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), la Haute autorité indépendante pour la communication audiovisuelle (Haica), pour ne citer qu’eux.
Caducs seraient également la consultation électronique, ainsi que le «référendum» de 2022, pour insuffisance de quorum et non-respect des standards internationaux, de même que les dernières «élections» législatives toutes fraîches, tant en raison du caractère absurde et discriminatoire de la loi électorale que d’un taux d’abstention inédit, signe incontestable de désintérêt, voire de défiance des électeurs.
Un pouvoir transitoire exercé par un organe collectif, rassemblant, de surcroît, les plus hautes autorités civiles et militaires du pays, serait infiniment moins dangereux pour les libertés que le pouvoir personnel et sans limite de Saïed.
Tout ceci pour dire que, contrairement aux allégations des Abdelbari Atwan, selon qui c’est soit Saïed soit le chaos, des alternatives existent fort heureusement, et seraient d’autant moins risquées qu’elles seraient l’apanage d’organes institutionnels et collectifs, plutôt que d’individus.
Qui pourrait prétendre que de telles initiatives seraient plus contestables que celle entreprise un certain 25 juillet 2021 par une seule personne?
* Docteur d’Etat en droit, ex-gérant de portefeuille associé.
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