Le 1er mai à Tunis : festival de la diversité par la photo, le débat et l’engagement citoyen

Le vernissage de l’exposition photographique «Une diversité tunisienne» a constitué l’évènement culturel marquant de la semaine du 1er mai à la Cité de la Culture de Tunis. Bien que cet évènement fût quelque peu gâché par l’affaire de la censure à la Foire du livre de Tunis, il n’en reste pas moins l’évènement heureux du printemps des arts.

Par Imen Bahri

Occupant tout l’espace de la Galerie Hamadi Essid de la Cinémathèque, le groupe des Artistes réunis du Laboratoire du patrimoine de l’Université de Manouba nous a offert une fresque de la diversité tunisienne qui s’étale sur plus de 25 siècles d’histoire et sur tous les coins et recoins d’un territoire qui a été marqué des mains de l’homme depuis des millénaires.

Les photographes ont cherché en premier à saisir les traits des figures et visages de notre beauté féminine pour en faire un des plus beaux tableaux de l’exposition : «Les belles de Tunis» est un poster qui compose des portraits de jeunes tunisiennes aussi belles l’une que l’autre dans cette nuance de couleurs et de regards.

A l’entrée de l’exposition, deux grands portraits nous accueillent : l’idole de la nation Ons Jabeur à côté de la jeune artiste chanteuse, star montante, Khaoula Tawes; deux jeunes dames qui illustrent le charme attractif de cette nouvelle génération de femmes aussi belles que combattives.

A mesure qu’on avance, on est pris dans la complexité de cette diversité qui interpelle aussi bien l’histoire, les lieux, les métiers et les arts.

Hommage à Béchir Ben Yahmed

Deux posters constituent aussi des moments forts de l’expo : celui dédié à feu Béchir Ben Yahmed, fondateur de Jeune Afrique décédé en 2021, l’homme est montré dans son environnement professionnel et protocolaire avec les grands du monde, de Bourguiba dont il était le premier secrétaire d’Etat à l’information dès l’indépendance et jusqu’aux chefs d’États moderne d’Afrique et du monde.

Notre ami, Ridha Kéfi, ancien collaborateur de Béchir Ben Yahmed à Jeune Afrique, lui a rendu, en ce jour du 1er mai, un vibrant hommage, évoquant avec les présents des moments forts de la vie de l’homme, qui fut le plus jeune parmi les dirigeants politiques de la Tunisie indépendante; mais éveillé de façon précoce aux risques de ce métier, lui préféra l’indépendance et l’aventure médiatique en lançant Jeune Afrique à Rome puis à Paris, ville de la liberté. Cette longue marche du journaliste qui dura plus de soixante ans avec lui et qui continue après lui est la chose la plus précieuse que BBY légua à tout un continent.

Et à Édouard Glissant

Un autre poster est dédié à la mémoire de l’écrivain Édouard Glissant, philosophe de la créolisation du monde et fondateur de l’Institut du Tout-Monde. En 2009, le philosophe fut invité à Tozeur pour présider un colloque international sur le monde arabe et l’esclavage, et c’est là qu’il a pu mesurer à quel point les élites arabes, même universitaires, étaient confortablement installées dans une attitude de «déni» total, un déni nourri par tant de préjugés et de mythes dont le plus répandu est celui du «bon maître et du bon esclave».

Édouard Glissant, en collaboration avec deux historiens tunisiens, prend l’initiative de rédiger l’appel de Tozeur, appelant le monde arabe à reconnaitre le crime de l’esclavage comme une ignominie, à l’enseigner et à se remémorer cet épisode chaque fois que c’est nécessaire.

La déclaration est exposée pour témoigner de cette heureuse rencontre entre le philosophe et le Djérid.

Le sacré dans tous ses états

Le thème du sacré dans la diversité de ses expressions a constitué cet autre moment fort de l’exposition. Le sacré en fête à travers la Ghriba de Djerba où la Banga de Nefta; les lieux sacrés, les vieux cultes qui perdurent encore montrant que les croyances les plus anciennes peuvent resurgir dans le paysage derrière un mur de pierre ou dans un arbre qui affiche des lambeaux de tissus votifs.

Figures et scènes des arts

Musique chants et peinture sont les invités aussi de cette exposition à travers les anciennes et nouvelles figures de ces arts dans la diversité de leurs créations.

De Habiba Msika à Oulaya, et de Ali Riahi à Zied Gharsa, les chants et rythmes profonds sont présents.

Mais le théâtre aussi, avec des scènes de l’épopée théâtrale tunisienne qui dure depuis plus d’un siècle et qui montre que cet art qui a fait la Tunisie culturelle ne cesse de se renouveler et de développer ses ressources.

La force de l’image est de pouvoir, à travers scènes et figures, exprimer des émotions et orienter le regard vers le beau. Plus que les mots ou le verbe ou même le son, la photographie, dans sa mise en scène, est dans ce moment de l’instantané une émotion forte captée et diffusée.

Le colloque international «Racisme et antiracisme en Tunisie et dans le monde, à travers l’histoire» a constitué l’autre moment fort de la journée : des historiens, politologues et anthropologues ont invité à leurs débats les penseurs qui ont le plus contribué à la décolonisation et au combat contre les formes de racisme en Afrique et dans le monde : J.-P. Sartre, Franz Fanon, Edourd Glissant, et Albert Memmi.

Les questions du vivre ensemble, des conditions du migrant, errant et rejeté, les thèmes de la critique artistique des formes de la ségrégation soulevés à l’occasion d’un roman traduit Barg Ellil de feu Béchir Khraief.

Un film qui raconte les déboires des Subsahariens en Tunisie et la polémique violente, soulevée à l’occasion, et pour bien finir un jeune artiste noir africain qui chante du Slam «A qui la faute, aux résidents ou aux migrants…»

Une journée bien pleine, artistique, scientifique et humaine. Une journée citoyenne aussi, puisque les présents ont été invités à signer une «Pétition de l’association Beyti sur les conditions des migrants subsahariens en Tunisie». Une lecture du texte et des revendications de ces exclus dont la plus urgente est celle d’une régularisation immédiate de leur statut. Cela fait de la journée aussi, une journée d’initiative citoyenne.

Le film de la soirée The last of us de Alaeddine Slim est tombé à pic pour clôturer une soirée mémorable, la soirée de réconciliation avec Mamma Africa, un festival de la diversité.

* Artiste photographe, commissaire de l’exposition.

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